La bataille de Brandeville

 

Récit du Capitaine Julliac

Récit du  Capitaine de Réserve Julliac de la garnison de Montmédy1

          Le 31 juillet 1914, alors que dans la région de Longuyon, à 25 kilomètres de là, les populations étaient consternées par le départ des troupes de couverture, que réservistes et territoriaux recevaient, à quatre heures du soir, l'ordre de rejoindre leur poste de mobilisation, Montmédy, au contraire, ville de garnison qui se trouvait en dehors de cette zone de couverture, vivait dans le calme et la tranquillité.
          Il me souvient qu'ayant reçu mon ordre d'appel à cinq heures du soir, je quittais Longuyon vers neuf heures après avoir été arrêté par un poste de douaniers qui, l'arme au pied, surveillait le pont de la Chiers à Charency-Vezin. J'arrivais en auto trois quarts d'heure plus tard à Montmédy. La ville basse était plongée dans le repos, pas une âme en ville. Je pris aussitôt la grimpette qui conduit à la ville haute, où je croyais trouver les troupes déjà alertées, les mitrailleuses sur les remparts. Je me présentai au corps de garde. Seule, la sentinelle sous les armes était éveillée. J'appelai le sergent de garde, je lui fournis quelques explications dont il sembla ahuri, il me fit accompagner par un soldat et nous redescendîmes à la ville basse, chez le commandant du bataillon du 165e d'infanterie qui, en temps de guerre, prenait rang de gouverneur de la forteresse.
          Je dus sonner à trois reprises différentes à son domicile privé. Peu après, une lumière traversa les jalousies des persiennes et le commandant, qui dormait déjà à cette heure, vint m'ouvrir lui-même. Je lui exposai le but tardif de ma visite et lui communiquai l'ordre de rejoindre que j'avais reçu. Il chercha pendant quelques instants à rassembler ses esprits, se frottant les yeux à plusieurs reprises, paraissant ne pas se douter des événements tragiques dont c'était le prélude. Il relut deux fois la feuille que je lui présentai, puis, après lui avoir demandé ses instructions en ce qui me concernait, il me répondit : «Eh ! bien, allez vous coucher ! »
          Ce que je fis. Mais je regrettais mon départ précipité qui ne m'avait pas permis de mettre suffisamment en ordre mes affaires personnelles.
          Le lendemain, le commandant s'était rendu à l'évidence, car, pendant toute la nuit, réservistes et territoriaux, dont la plupart habitaient les villages environnants, étaient arrivés à Montmédy, entonnant la Marseillaise et le Chant du Départ.

          Dès le 1er août, la petite citadelle devint une véritable fourmilière. Chacun, dans sa sphère, se mit au travail.
          Dans chaque unité, c'était la formation des cadres, l'habillement et l'équipement des réservistes. De son côté, l'état-major veillait activement à la mise en œuvre du plan de mobilisation ; travail considérable que l'état de défense d'une place fortifiée, alors qu'en temps de paix on songe si peu à la guerre.

          Les jours suivants, la garnison était prête au combat, mais dans la mesure de ses moyens. Pouvait-on, en effet, espérer la résistance de longue durée en cas d'investissement par l'ennemi ? C'eût été possible du temps de Vauban. De nos jours, c'était une chimère.
          La vieille forteresse comprenait deux étages de casemates. Le premier, creusé dans le roc, pouvait donner un abri suffisant. Mais, délaissé en temps de paix, en partie comblé et rempli d'eau, il était presque inhabitable. Le second, en maçonnerie, était, comme les divers bâtiments qui devaient servir de refuge pendant le bombardement, recouvert de terre d'une épaisseur de cinquante centimètres à un mètre. C'était un jeu, pour l'artillerie moderne, de détruire en quelques heures une semblable défense.
          Sur les remparts, à ciel découvert, des canons presque démodés : 4 pièces de 120, 6 pièces de 90, quelques pièces de 75, beaucoup de mortiers et de crapouillots de l'ancien temps, des obus qui faisaient songer aux combats de places fortes sous Louis XIV, quelques canons-revolvers, 6 mitrailleuses. Le tout immobilisé, sans aucune possibilité de transport en d'autres points de la place. Tel était le matériel qui devait servir à la défense de Montmédy.
          Deux souterrains : l'un, aboutissant vers le sud, conduisait aux dépôts du service de l'intendance, l'autre reliait la forteresse au tunnel de la voie ferrée, ligne de Longuyon à Charleville.
          Conformément au carnet de mobilisation, le gouverneur prit, le 2 août, un arrêté d'expulsion des habitants de la ville haute. En effet, à l'intérieur de la forteresse se trouvait un certain nombre de maisons particulières abritant environ 110 habitants. Les laisser dans la place, c'eût été les exposer à une mort certaine. C'était en outre un encombrement pour la marche régulière des services. Enfin, il pouvait s'infiltrer parmi ces civils une organisation d'espionnage qu'on n'avait ni le temps ni la possibilité de surveiller. Il était préférable d'être entièrement maître chez soi.
          Dès avant le 6 août, un peloton de la 14e compagnie du 165e d'infanterie, sous les ordres du capitaine du génie Girard, avec, comme adjoint, le lieutenant de réserve de Saintignon, était détaché au tunnel de Vachémont, situé à quelques centaines de mètres à l'ouest de Longuyon. Cette œuvre d'art, d'une importance capitale puisqu'elle commandait la ligne de Charleville, devait être défendue jusqu'à la dernière extrémité et ne pouvait être détruite que sur l'ordre du Grand Quartier Général.
          Cette mission fut remplie conformément au plan de mobilisation. Le peloton de défense se trouva, quelques jours plus tard, face à un régiment de uhlans qui s'était établi au nord de Longuyon, dans le petit bois de Viviers, Il n'y eut pas de combat, mais simple échange de coups de feu. Toutefois, la cavalerie ennemie formant l'avant-garde de troupes considérables, ordre fut donné, le 9 août, par le général en chef des armées françaises, de faire sauter le tunnel. L'exécution eut lieu aussitôt.
          Un train sous pression, qui se trouvait à proximité, ramena le détachement à Montmédy.
          Cette destruction fut sensible pour l'ennemi, car, plusieurs semaines après, lorsque la région entière fut envahie, de nombreuses équipes allemandes travaillaient encore à la réfection sommaire de ce tunnel pour permettre le fonctionnement de la ligne Longuyon-Charleville qui se trouvait, de ce fait, obstruée. Les jours suivants se passèrent dans la fièvre du travail.

          Le gouverneur, déjà âgé et fatigué, avait passé la direction générale de la place et de ses services au capitaine adjudant-major Augagneur, du 165e d'infanterie. Celui-ci, qui dut fournir dans le cumul de ses deux fonctions un effort considérable, succomba à la tâche. Quelques jours après, à la suite d'un pénible accident qui ébranla sa santé, il était évacué sur l'intérieur avec le gouverneur.
          Au 45e territorial, le capitaine Cadot, qui commandait la 10e compagnie, était également évacué et remplacé par le lieutenant de réserve Grégoire, de l'infanterie coloniale, ancien officier de l'armée active. Ce dernier, géomètre du cadastre au Cambodge, était débarqué en France quinze jours auparavant avec sa famille, pour un congé de plusieurs semaines. Pris par la mobilisation, et n'ayant pas d'affectation spéciale en France, il était venu se mettre à la disposition du commandant de la place de Montmédy.
          Enfin, le 6 août, le lieutenant-colonel Faurès, du 91e régiment d'infanterie à Mézières, qui se trouvait, avec son régiment, en couverture à Rupt-sur-Othain, recevait l'ordre de se rendre à Montmédy pour prendre les fonctions de gouverneur de la place. Il y arrivait à 6 heures du soir et prenait aussitôt le commandement qui lui avait été assigné.
          La garnison complétait enfin ses cadres par l'arrivée de divers officiers : d'abord le chef d'escadron breveté Hugues, de l'infanterie coloniale, qui, rentrant du Maroc sans affectation spéciale, était désigné pour commander le bataillon du 165e régiment d'infanterie ; puis le capitaine Nojean, précédemment attaché à la gendarmerie de Macédoine, également de retour en France, était affecté au même bataillon comme adjudant-major.
           Le capitaine Leleu, du bataillon, prenait, de son côté, les fonctions de sous-intendant militaire de la place.

          Dans la période qui suivit le 6 août, c'est-à-dire pendant une dizaine de jours, une activité constante ne cessa de régner dans la place.
          À l'extérieur, le service de sûreté était constitué par des petits postes de douaniers et chasseurs forestiers, par des patrouilles d'infanterie et de cyclistes qui s'avancèrent au-delà de Breux et jusqu'à la frontière belge.
          Quelques petites escarmouches eurent lieu avec des reconnaissances ennemies, et nos patrouilles ramenèrent à plusieurs reprises les armes de soldats allemands qu'elles avaient réussi à abattre.
          Toutefois, aucun renseignement sérieux ne put être rapporté au gouverneur sur la marche et la direction des armées ennemies.
          À proximité immédiate de la place, la garnison procède avec fièvre aux travaux de défense, mais en réalité Montmédy est presque indéfendable. La citadelle fournit un point de mire que l'artillerie lourde allemande aura tôt fait de détruire à distance, puisque l'artillerie de la place n'a qu'une portée beaucoup plus restreinte. C'est pourquoi le gouverneur prescrit l'exécution immédiate de certains travaux à l'extérieur.
          Les deux compagnies du 45e territorial commencent le défrichement et le déboisement des terrains militaires qui aboutissent à la forteresse, les arbres abattus étant laissés sur place pour retarder l'assaut éventuel des troupes ennemies.
          Un cordon de fil de fer barbelé est tendu autour des remparts.
          Sur le Haut-des-Forêts et sur la croupe de Béfosse, des tranchées sont organisées.
          Les diverses compagnies du 165e d'infanterie ont évacué leurs casernements pour cantonner dans les villages voisins : Fresnois, Thonne-la-Long. Thonnelle, Villécloye.
          Pendant ce temps, la place, conformément au plan général, se tient en liaison avec les divers corps qui effectuent leur marche en avant à proximité de Montmédy, 2e corps d'armée, 3e division d'infanterie, corps d'armée colonial, division de cavalerie du général de l'Espée, etc.
          De leur côté, les diverses unités de la garnison alternent les travaux de défense avec les exercices préparatoires de combat : lancement de grenades de forteresse, utilisation des postes de combat, exercices de compagnie en rase campagne.
          Les deux compagnies du 45e territorial effectuent même une marche qu'elles poussent jusqu'au village belge de Villers-devant-Orval, où elles arrivent le lendemain d'un combat de reconnaissance entre un détachement d'infanterie, un peloton de chasseurs d'Afrique et un escadron de uhlans. Elles rendent les honneurs à un soldat d'infanterie tué en ce combat et qu'elles inhument au cimetière du village. Puis elles rentrent de cette marche un peu osée, sans avoir été inquiétée par l'ennemi et en ramenant quelques trophées, notamment un cheval de uhlan, un sabre d'officier et quelques armes.

          Le 19 août, le 20e corps d'armée passait à Montmédy, poursuivant la marche en avant qui devait constituer l'offensive de Belgique. Cette marche en avant dura deux jours, puis le calme complet régna dans la ville.
          Dans l'esprit de la garnison, Montmédy avait accompli définitivement son rôle de point d'appui des armées opérant dans leur marche offensive. Elle devenait, par suite une place forte de l'arrière.
          Ce rôle ne devait pas lui incomber pendant une bien longue période.
          En effet, le 22 août, le canon avait tonné toute la journée du côté de Virton. Cependant, aucune indication intéressante n'était parvenue à la place sur les opérations en cours.
          Mais dans la soirée du même jour, l'ordre arrive de préparer d'urgence des salles d'ambulance pour recevoir de nombreux blessés dans tous les locaux disponibles de la ville.
          Tous se tiennent prêts à intervenir, mais n'ont pas à entrer en action. L'ennemi, en effet, semble ne pas vouloir s'arrêter dans sa marche en avant, même pendant quelques jours. Devant le petit écueil que forme la forteresse, il la contourne à distance, hors de portée de nos canons et peu à peu, la garnison ressent l'étreinte de l'encerclement. À droite et à gauche, le son du canon va en s'éloignant. Dans quelques jours, ce sera l'isolement du monde.
          Seules, quelques reconnaissances ennemies cherchent à s'approcher de la ville, du côté est, vers la ferme du Valendon. Une patrouille de trois uhlans s'arrête à environ dix-huit cents mètres de la forteresse, descend de cheval, s'assied sur l'accotement de la route, étudiant sur la carte la situation des lieux.
          Une pièce du fort, braquée dans sa direction, envoie un obus qui tombe au milieu du groupe. Seul, un cheval peut s'échapper. Quelques hommes de corvée, envoyés sur les lieux, rapportent armes et documents trouvés sur les cadavres. Une autre pièce de siège tire également quelques coups sur de forts rassemblements ennemis signalés à la corne du bois d'Othe.
          Ce furent les seules opérations actives de combat de la garnison dans la place forte elle-même.

          Les journées des 25 et 26 août furent jours d'angoisse et d'attente.
          Peu à peu le cercle ennemi continuait à se resserrer autour de Montmédy. Le bruit du canon, qui s'entendait quelques jours avant vers le nord, tonnait maintenant dans la direction de l'est et du sud.
          Vers l'ouest, la bataille faisait rage. Le soir, du haut des remparts, nous assistions aux combats d'artillerie qui se déroulaient dans la direction de Stenay.
          Notre seul but, pour le moment, était d'assurer la liaison avec la place de Longwy, que nous savions assiégée, mais dont nous n'avions, pour l'instant, aucune nouvelle. Cette liaison, qui précédemment s'opérait par fil télégraphique, fut interrompue par le bombardement de cette place. Il ne nous restait plus que le service de pigeons voyageurs.
          Nous avions eu connaissance de la promotion au rang d'officier de la Légion d'honneur du lieutenant-colonel Darche, gouverneur de Longwy. Ce fut notre dernier pigeon voyageur qui fut chargé de lui porter cette nouvelle, mais plus tard, lorsque les officiers de Longwy et de Montmédy se retrouvèrent en captivité, nous sûmes qu'aucun de nos messages n'était arrivé à destination, sans doute par suite de la destruction du pigeonnier militaire de Longwy.

         Montmédy devenait séparée de la France non occupée : c'était une île au milieu de la mer.
          Une fièvre constante passait dans toute la garnison qui s'énervait de ne pouvoir utiliser ses forces vives et d'être obligée de subir, comme à Longwy, un siège que l'on sentait très proche et qui ne pouvait durer que quelques jours à peine.
          Ces prévisions étaient d'ailleurs exactes, puisqu'aussitôt la chute de Longwy, l'artillerie allemande avait été embarquée en direction de Montmédy et se trouvait, lors du départ de la garnison, en gare d'Ecouviez, c'est-à-dire à quinze kilomètres environ de la place.

         La ligne de Longuyon à Charleville traverse plusieurs tunnels : celui de Wachémont, détruit par nos troupes au début des hostilités ; celui de Colmey, à un kilomètre du premier, resté intact ; et enfin, le plus important, celui de Montmédy, qui tient à la gare même et traverse la colline sur laquelle est bâtie la ville haute. C'était une œuvre d'art essentiellement stratégique, minée à ses deux extrémités et à sa partie centrale, et reliée à la forteresse par un petit souterrain. Un poste de commandement, confié à un officier d'administration du génie, permettait, le moment venu, au moyen d'une batterie reliée aux trois foyers de mines, de faire sauter le tunnel sur l'ordre du gouverneur, ordre subordonné d'ailleurs à l'autorisation du G. Q. G.
          Préalablement à l'éventualité de cette opération, le génie de la place avait procédé à la destruction des ponts sur la Chiers, â l'entrée de Montmédy, à Vigneul, à Chauvency-le-Château et Chauvency-Saint-Hubert.
          Lorsque ces travaux furent exécutés, le gouverneur rendit compte de leur succès au général en chef, et demanda des instructions concernant le tunnel, estimant que le moment était venu de le rendre inutilisable.
          Le G. Q. G., par une première dépêche, ordonna le chargement des dispositifs de mines.
          Un second télégramme donnait l'ordre de faire sauter le tunnel. Cet ordre arriva dans la nuit du 26 au 27 août.
          Dès l'aube, l'ordre était transmis au génie chargé de l'exécution.
          L'officier d'administration Laboulbène, qui devait assurer ce service, étant absent, ce fut le capitaine Girard, commandant le génie de la place, qui dirigea lui-même cette opération.
          Quelques instants après, vers quatre heures du matin, une formidable explosion retentissait, mettant le tunnel hors service pour plusieurs années, ce qui obligea par la suite les Allemands à construire une ligne provisoire qui traversait Montniédy-Bas, contournait la colline de Montmédy-Haut par le sud, pour rejoindre la ligne de Charleville au viaduc de la Chiers, près du village de Thonne-les-Prés.
           Il eût été nécessaire également de faire sauter ce viaduc, ce qui eût retardé bien plus longtemps encore la reprise des transports de l'ennemi par voie ferrée. Mais cette destruction n'était pas prévue.

          La journée du 27 août fut languissante et mortelle. Chacun sentait l'approche d'une solution bonne ou mauvaise. Les officiers se réunissaient par groupes dans la place. Au-dehors, de nombreux civils s'attardaient près du pont-levis, demandant à entrer et à voir un parent ou un ami mobilisé. La permission ne pouvait être accordée, et quelques-uns s'en retournaient tristement, d'autres s'obstinaient à attendre une occasion qui ne se présentait jamais.
          Dans la matinée, le gouverneur réunit le conseil de défense de la place, et, après un examen attentif de la situation, décida, sur avis conforme, de rendre compte au G.Q.G., au moyen de la ligne télégraphique souterraine qui reliait Montmédy à Verdun, de la situation de la place, de la destruction des œuvres d'art, et d'indiquer que le rôle de 1a forteresse était accompli conformément au plan de mobilisation.
          Il demandait enfin l'autorisation, pour la garnison, d'évacuer la citadelle et de chercher à gagner les lignes françaises par les moyens qu'il jugerait convenables.
          Vers trois heures de l'après-midi, une dépêche reçue par la même voie lui apportait l'autorisation demandée.
          La nouvelle s'en répandit rapidement dans toutes les unités, ce qui provoqua une effervescence aiguë et de nombreux commentaires. Les uns estimaient l'expédition dangereuse et inutile et constataient l'impossibilité absolue de traverser les lignes allemandes sans connaître la situation de marche des troupes ennemies. Les autres, au contraire, jugeaient qu'il était préférable de se battre en rase campagne plutôt que de supporter un bombardement sans pouvoir se défendre, et d'être ensevelis sous les décombres de la citadelle. Cette dernière opinion était, à juste titre, la plus répandue parmi les troupes de la garnison.
          Dès ce moment une activité croissante régna dans la place. Il s'agissait de détruire tout ce qu'il était possible de matériel et de n'abandonner à l'ennemi que ce que l'on ne pouvait mettre hors d'état de service.
          Dans chaque compagnie, toutes les archives furent brûlées, ainsi que celles de l'état-major de la place, et notamment les plans de mobilisation. Toutes les poudres furent noyées dans les puits et les citernes de la ville haute. Les culasses des canons furent enlevées et jetées à une certaine distance dans la rivière. Les diverses pièces de mécanisme des canons et des mitrailleuses furent mises hors d'usage, les gargousses furent jetées dans les remparts ; les demi-muids de vin furent défoncés à coup de masse. Quelques hommes en profitèrent pour s'enivrer, mais ce fut une exception, et plusieurs d'entre eux, aperçus par des officiers, furent menacés par eux de leur revolver s'ils ne cessaient une action aussi dégradante en un tel moment.
          C'est de là que, plus tard, des récits tendancieux, dans la presse allemande, rapportèrent que la garnison de Montmédy était ivre lorsqu'elle quitta la place.
          De si misérables insinuations ne mériteraient même pas d'être rapportées ici.
          Quant aux vivres, boîtes de conserve, réserves de farine, de tabac, etc., il était malheureusement impossible d'en faire une destruction totale en si peu de temps, étant donné que le service de manutention avait des réserves pour une garnison de 2700 hommes et pour trois mois.

         L'ordre du gouverneur fixait le départ de la garnison à 8 heures du soir.
          Mais il était nécessaire d'obtenir au préalable quelques indications sur la situation de l'ennemi et notamment sur la marche en avant des troupes allemandes. Depuis le recul de l'armée française, Montmédy était restée isolée, sans aucun contact avec l'extérieur. Il fallait donc arriver à trouver le point faible pour forcer les lignes allemandes et essayer de gagner Verdun.
          Du côté ouest, vers Stenay, la veille, la garnison avait assisté au combat d'artillerie qui, peu à peu, s'était éteint, ce qui semblait indiquer que de ce côté l'ennemi s'avançait rapidement.
          Du côté est, on avait aperçu, les jours précédents, d'immenses lueurs semblant confirmer les incendies de diverses localités.
          Il n'y avait donc que le sud qui paraissait favorable à l'expédition.
          Le plan du gouverneur fut alors arrêté. Il fallait essayer de gagner Dun ou Consenvoye, et de traverser la Meuse. Derrière cette rivière, on se trouvait à couvert sous le feu des canons de Verdun et la partie était gagnée.
          Des patrouilles cyclistes furent envoyées en reconnaissance vers cette région. Elles revinrent sur le soir, indiquant qu'elles n'avaient rencontré aucun obstacle.
          Les ordres préparatoires furent alors communiqués aux diverses unités.
          Tous les chevaux de selle ou de trait devaient être abandonnés, ainsi qu'un troupeau d'environ 40 vaches qui se trouvait en réserve dans les fossés des remparts. Aucun matériel, aucun bagage ne devait être emporté, pas même les havresacs, chaque homme devant être allégé dans la mesure du possible en vue d'une marche longue et pénible. Seulement deux musettes par homme, avec cinq jours de vivres et 200 cartouches. Tout accessoire, et notamment le tabac et les allumettes, était strictement interdit.
          Pas de voitures d'ambulances ni de brancards. Un paquet de pansements par homme.
          À sept heures du soir, l'ordre de rassemblement était donné. Minute palpitante qu'un tel instant où l'on abandonnait une place forte à l'ennemi, pour partir vers l'inconnu.
          La colonne devant être imposante, le gouverneur décide de l'alléger. À ce sujet, il stipule que le personnel sanitaire comprenant notamment plusieurs médecins-majors, des pharmaciens militaires et les infirmiers, resterait à l'hôpital de Montmédy pour soigner les grands blessés provenant de la bataille de Belgique, et qui n'avaient pu être évacués par suite de leur état.
          Ce personnel, d'ailleurs, était couvert par la Convention de Genève. On sait comment l'ennemi la respecta. Nous devions retrouver, par la suite, tous les membres du service sanitaire prisonniers en Allemagne.
          Il y avait dans la place environ 200 auxiliaires d'artillerie, tous appartenant à la réserve de l'armée territoriale, pour la plupart âgés et inaptes à un service actif régulier. Il n'était pas possible de songer à les incorporer dans la colonne pour la sortie projetée. Tous étant domiciliés dans les environs de Montmédy, le gouverneur décide de les renvoyer dans leurs foyers, avec mention spéciale sur leur livret militaire et ordre de se mettre à la disposition du commandement français dès que les événements permettraient de le faire.
          Enfin, on laissait à Montmédy-Haut le gardien de prison avec quelques détenus de droit commun et un prisonnier allemand qui devait d'ailleurs être libéré lors de l'entrée des troupes allemandes dans la place.
          À huit heures du soir, l'ordre de départ était donné.

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La colonne était ainsi composée :
Avant-garde et patrouilles de flancs-gardes.
Gros : 3 compagnies du 165e d'infanterie.
Batterie du 5e d'artillerie à pied.
9e et 10e compagnies du 45e territorial.
Génie.
Éléments divers : administration, gendarmes, forestiers, douaniers.
Éléments étrangers à la garnison : détachements du 102e d'infanterie et coloniaux.
Arrière-garde : une compagnie du 165e d'infanterie.
Au total : 2.300 hommes.

    L'avant-garde était commandée par le lieutenant Servantie, du 165e d'infanterie.
    En outre, un détachement du génie avait précédé la colonne jusqu'à Ham-lès-Juvigny pour s'assurer que les ponts n'avaient pas été détruits sur la rivière la Loison. Le but, nous l'avons dit, était le passage de la Meuse à Dun ou Consenvoye, la colonne devant y aboutir par Ham-lès-Juvigny et la forêt de la Woëvre.
    La garnison se mit en marche silencieusement, quittant avec quelque regret cette vieille forteresse dont elle avait espéré un rôle beaucoup plus actif. Sur le passage de la troupe, à Montmédy-Bas, les habitants formaient la haie, anxieux de voir leurs défenseurs les abandonner dans de telles circonstances, leur jetant dans la nuit des paroles d'adieu, leur distribuant des poignées de main, les larmes aux yeux. Le tableau était véritablement saisissant.
    La colonne suivit tout d'abord la voie étroite du chemin de fer meusien, ligne de Montmédy à Verdun. La marche fut rendue pénible précisément par l'exiguïté de la voie, le peu d'espacement des traverses et l'empierrement intercalaire. Cette difficulté se continua jusqu'à Ham-lès-Juvigny. En outre, la ligne était construite en déblai, et la crainte apparaissait à chaque instant d'une surprise de l'ennemi qui aurait eu de ce fait une supériorité incontestable, la colonne ne pouvant pas se déployer et, par suite, riposter efficacement à une attaque.
    Il y eut quelques à-coups dans cette marche, et qui se renouvelèrent à intervalle rapproché.
    Ce fut d'abord, lors d'un premier arrêt et à la reprise de la marche, des hommes qui se jetèrent de côté, dans le bois qui longe la rivière. Quelques-uns se noyèrent. D'autres, se croyant attaqués par un ennemi qu'ils ne pouvaient discerner, se mirent à tirer des coups de fusil, fait qui eût pu amener des conséquences déplorables.
    La cause de cette alerte venait du fait que la colonne avait fait lever une horde de sangliers qui chargea devant elle sur la voie ferrée.
    L'émotion passée, la colonne se remit en marche, mais, par suite de sa longueur, de nouveaux flottements se produisirent qui amenèrent de nouveaux arrêts. Puis ce fut une seconde poussée, semblable à la première, mais cette fois sans cause apparente. Désireux de me rendre compte, je me portai en avant de la colonne et, lors d'un nouvel arrêt et de la reprise de la marche, une troisième poussée, aussitôt réprimée, se produisit. Cela provenait uniquement de la lassitude des hommes qui, s'asseyant sur le bord du talus, somnolaient encore au moment de se remettre en marche. Le fourreau de leur baïonnette frappait alors le quart se trouvant dans leur musette ou les rails de la voie, et ce tintement métallique, se prolongeant régulièrement sur toute la profondeur de la colonne, provoquait un son régulier que l'esprit endormi ne pouvait s'expliquer. De là à la panique, il n'y avait qu'un pas. Mais la troisième tentative, avortée, fut la dernière.
    Le gouverneur avait décidé d'éviter la traversée des villages qui pouvaient être occupés par l'ennemi, ce qui aurait occasionné de nouvelles difficultés dans la marche de la petite troupe et compromis la réussite de la manœuvre.
    C'est pourquoi, laissant devant lui le village de Ham-lès-Juvigny, il fit traverser le petit bois qui tombe à pic sur la rivière la Loison. Cette marche en pleine nuit, à travers un bois en coteau, amena de nouveaux flottements et la colonne, aboutissant sur un chemin de terre qui longe la rivière, se trouva coupée en deux tronçons. Le premier continua sa marche. Le second perdit quelque temps à se reformer et se trouva complètement séparé du gros. En outre, quelques hommes, trompés par le reflet de la lune, prirent la Loison pour une route et se jetèrent dans la rivière où ils se noyèrent.
    Vers le point du jour, le gros parvenait à joindre la lisière de la forêt de la Woëvre et atteignait, à sept heures du matin, le but fixé pour la première partie de l'itinéraire, la fontaine Saint-Dagobert, sans avoir été aperçu par l'ennemi.
    Peu après, la deuxième fraction de la colonne, qui avait perdu le contact au bois de Ham, rejoignait le même point.
    Le gouverneur fit reprendre leur ordre aux diverses unités et installa la troupe en bivouac.
    Des avant-postes de protection furent placés en divers points et des patrouilles furent envoyées dans la direction de Dun-sur-Meuse, à quelques kilomètres de là. Celles-ci revinrent dans la matinée, apportant l'indication que des forces ennemies assez importantes se trouvaient dans les environs.
    Le service de sûreté amena au gouverneur un civil qui s'était présenté à nos avant-postes. C'était, paraît-il, le maire de Dun qui, nous ayant aperçus, venait signaler que la petite ville n'était occupée que par une cinquantaine de uhlans, dont on pouvait avoir facilement raison.
    Mais le colonel Faurès ne voulut pas le recevoir, ignorant son identité et craignant les embûches et l'espionnage, toujours à redouter dans de telles circonstances.
    D'autre part, il eut fallu franchir en rase campagne quelques kilomètres, ce qui pouvait obliger la colonne à soutenir une attaque ennemie en disproportion avec ses moyens de combat. Le gouverneur préféra ne pas se départir du programme qu'il s'était tracé.
    Son but était le suivant : se terrer de jour et marcher la nuit. Mais comment calmer, pendant une longue journée d'attente, l'impatience d'une troupe qui sentait proche la réussite de l'expédition et savait aussi que ces longues heures perdues augmentaient les difficultés et permettaient à l'ennemi d'étendre la marche envahissante de ses armées ?
    Les officiers, dans une conversation amicale qu'ils eurent avec le gouverneur, pendant ce repos forcé, lui firent part de leurs appréhensions et de l'impatience que tous ressentaient de reprendre la marche aussitôt que possible.
    Le gouverneur, se rangeant à cet avis, décida de repartir vers le sud pour tenter d'atteindre la Meuse à Consenvoye, en traversant les bois de Murvaux, aux environs de Brandeville.
Le départ eut lieu vers quatre heures du soir.
C'est alors qu'un avion ennemi vint tournoyer à faible hauteur au-dessus de la colonne qui, sur l'ordre de son chef, se jeta aussitôt sous bois.
    Il fut toujours impossible de savoir si la troupe avait été repérée ou, plus simplement, si le commandement allemand ayant été averti de la sortie de la garnison de Montmédy avait envoyé cet avion en reconnaissance dans la région.
Vers six heures du soir, la colonne débouche sur un chemin de vidange dans la forêt, aboutissant à la route de Brandeville à Murvaux. Elle s'arrête à 500 mètres environ de la lisière du bois et le lieutenant-colonel Faurès envoie de ce côté, et sur plusieurs points, des patrouilles pour reconnaître le terrain. Celles-ci reviennent peu après, renseignant que les routes sont sillonnées de troupes et de convois ennemis en direction de Dun et qu'un poste important se trouve sur la route de Brandeville.
    Le gouverneur, reconnaissant que le manque d'homogénéité de sa troupe, entraînée aux exercices de défense d'une place forte, mais non aux opérations en rase campagne, ne lui permettait pas de tenter par un coup de main la traversée de colonnes ennemies la nuit, décide de s'arrêter à cet endroit, propice d'ailleurs, puisqu'il se trouve dans une coupe forestière en exploitation, et d'attendre le point du jour pour forcer le passage à moins que les patrouilles ne l'avertissent de la disparition des obstacles.
    Il donne l'ordre à la colonne de se former en rassemblement, opération qui, malgré les difficultés du terrain, se fait rapidement et sans bruit.
    Des avant-postes sont placés sur la lisière du bois pour surveiller les mouvements de l'ennemi.
    Toute la nuit, sur la route Brandeville-Murvaux et Brandeville-Louppy, des convois allemands ne cessèrent de passer; il semble que le commandement ennemi ne leur ait donné aucune indication sur la proximité éventuelle de la garnison de Montmédy, car le bruit de leurs conversations qui arrivait jusqu'à nous indiquait suffisamment qu'ils n'avaient à ce sujet aucune méfiance.

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Le 29 août, vers une heure du matin, le lieutenant-colonel Faurès réunit les officiers commandants d'unités pour leur donner ses instructions. « Les renseignements que je possède, dit-il, ne sont guère plus précis que ceux recueillis hier soir à notre arrivée à ce point. Le poste ennemi établi au carrefour des chemins de Brandeville à Murvaux et à Louppy est toujours en place. Les passages de convois ont cessé. Il nous faut traverser la route et chercher à gagner à nouveau le sud vers Consenvoye bien que je ne connaisse pas l'importance des forces qui sont devant nous. Le rendez-vous, après les diverses phases du combat, se fera aux fermes d'Alger et de Constantine. Messieurs, tant pis pour qui tombe. Bonne chance et à ce soir ! »
Dans l'esprit du gouverneur, le combat ne pouvait avoir lieu qu'en ordre serré. En réalité, au cours des opérations, les diverses unités pouvaient se trouver séparées momentanément puisqu'il fallait tout d'abord bousculer le poste ennemi et traverser des forces plus importantes qui, certainement, arriveraient en renfort. Mais le ralliement s'opérerait peu à peu aux divers points indiqués par lui. À quatre heures du matin, ordre de marche en-avant est donné.
Une compagnie d'infanterie part en avant-garde, le reste de la colonne en formation de lignes de sections par quatre : d'abord, les trois autres compagnies du 165e d'infanterie, la batterie d'artillerie à pied, les 9e et 10e compagnies du 45e territorial, enfin les fractions isolées.
Pendant quelque temps, la marche s'effectua normalement. On put croire un instant que la compagnie d'avant-garde avait franchi sans incident la route de Brandeville-Murvaux ; il n'en était rien.
    Une vive fusillade indiqua bientôt au gros de la colonne que le combat était engagé.
    En effet, la compagnie d'avant-garde, sous le commandement des lieutenants Servantie et Hemeury, tombait, à la baïonnette, sur la grand-garde allemande, la nettoyant entièrement et fusillant cinq officiers d'état-major, dont un colonel de chevau-légers, occupés à étudier, carte en mains, la situation de la région.
    Du côté français, un arrêt s'était produit dans la marche de la colonne. Les deux compagnies de territoriale doublaient les artilleurs et, en cours de route, rencontraient le lieutenant Tronçon qui leur apportait l'ordre du colonel de se déployer sur la gauche.
    Bientôt, la colonne entière occupait la lisière du bois et le combat devint acharné.
    Du côté droit du chemin de vidange de la forêt, le 165e d'infanterie, le 50e d'artillerie, les diverses fractions isolées cherchaient à franchir le passage. Une compagnie d'infanterie partit à la baïonnette. Elle fut fauchée par les mitrailleuses ennemies et ses débris durent rétrograder à la lisière de la forêt.
    Du côté allemand débouchaient, sur la route de Murvaux et de la colline Saint-Germain, d'importants éléments de cavalerie qui engageaient le combat à pied. Toutes ces troupes appartenaient au XIII° corps wurtembergeois, en marche sur la Meuse (2).
    Le 165e d'infanterie chercha encore à progresser ; il put franchir le chemin et se porta en avant, gagnant ainsi un espace de cinq cents mètres. Mais il se heurta bientôt au gros des forces allemandes venues en renfort et fut à nouveau obligé de reculer, subissant des pertes importantes.
    Les deux compagnies du 45e territorial, couvertes sur le côté gauche du bois par une section de la 9e compagnie, se trouvaient de leur côté séparées de l'ennemi par de simples champs de blé. Elles arrosaient la route de leur tir, empêchant ainsi les Allemands d'approcher de ce côté.
    Les pertes étaient sérieuses : le commandant Hugues, le capitaine Nojean étaient frappés à mort ; bientôt c'était le tour des capitaines Girard, Leleu, Bassereau et Lejay. Les lieutenants Servantie et Hemeury, de l'avant-garde étaient tombés au début de l'attaque.
Du côté ennemi, les renforts continuaient à arriver, les mitrailleuses entraient en action; l'artillerie se mettait en batterie derrière la colline Saint-Germain.
Du côté français, rien que des fusils.
    L'ennemi chercha à tourner le bois par le sud. Les deux compagnies du 45e territorial continuèrent de tenter l'arrêt du mouvement.
    Le lieutenant Tronçon tomba frappé d'une balle au ventre, en faisant le coup de feu.
    La liaison entre les diverses unités en ligne était devenue impossible et le colonel Faurès ne pouvait plus avoir, de ce fait, la direction effective du combat. Chaque groupe se trouvait ainsi sous la direction immédiate de son chef.
    Le combat se poursuivit longtemps encore, mais inégal. Des deux côtés il y avait des pertes importantes, mais, du côté français, les divers éléments, traqués de toutes parts, vaincus par la fatigue, les privations et les pertes, étaient de plus en plus isolés les uns des autres et, peu à peu, tombaient aux mains de l'ennemi. Quelques-uns, résolus à se défendre jusqu'à la dernière limite, tentèrent, par un mouvement de repli, à échapper à la captivité. Ils y réussirent. Mais, par la suite, dans l'impossibilité de se ravitailler, ayant vécu plusieurs jours dans le bois, ils furent pris par petits paquets et rejoignirent en Allemagne leurs camarades faits prisonniers sur le champ de bataille.
Le combat avait duré quatre heures environ.
    Le lieutenant-colonel Faurès qui avait été blessé légèrement à la main par une balle, fut également fait prisonnier. Il fut conduit au général allemand Von Fabeck, commandant le XIII° corps wurtembergeois, qui se trouvait avec son état-major à la lisière du bois de Louppy, puis emmené en auto au quartier général du Kronprinz, à Aumetz, où il passa la nuit du 29 au 30 août.
    Le lendemain il fut dirigé sur Ingolstadt, en Bavière, où il fut interné au fort IX d'Oberstimm. Là, il retrouva quelques officiers de la garnison de Montmédy, auxquels vinrent par la suite se joindre les autres officiers indemnes ou légèrement blessés.

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    Telle fut l'épopée d'une vaillante petite garnison sur laquelle on garda longtemps, en France, le silence par manque d'indications précises.
    Une vingtaine d'hommes et le médecin-major du 45e territorial purent seuls franchir les lignes allemandes et arriver à Verdun où le récit de leur marche laissa longtemps, parmi les autorités militaires, un soupçon d'incrédulité.
    Parmi ces hommes qui évitèrent les dures années de captivité, il est nécessaire de faire une division :
Ce sont ceux d'abord qui ont assisté au combat.
Ce sont ceux, ensuite, qui ont, pendant la marche de nuit du 27 au 28 août, été involontairement séparés du gros de la colonne par suite des à-coups qui se sont produits.
    Il y a aussi quelques isolés qui, pendant cette même marche, ont profité de la nuit pour se séparer de leur unité et tenter isolément la traversée des lignes ennemies.
    Cette initiative de leur part ne fut peut-être pas entièrement conforme à la discipline militaire, mais nous devons les excuser, eu égard au but qu'ils se proposaient d'atteindre.
    Quant à ceux qui ont réussi à gagner Verdun après le combat, soit isolément, soit par petits groupes, ils sont peu nombreux. Mais ce sont des héros qui, bravant les fatigues et les privations, ont surmonté toutes les difficultés pour rejoindre les unités combattantes. Devant eux, nous nous inclinons, car leur vaillance ne fut pas appréciée en haut lieu et, tout comme leurs camarades infortunés faits prisonniers, ils ont continué à rester dans l'ombre.

 

    Signalons en passant la bonne foi allemande déjà mise à l'épreuve à plusieurs reprises et qui se fit apprécier singulièrement pendant le cours du combat.
    Au plus vif de l'action, nos lignes entendirent les clairons sonner : « Cessez le feu ! »
Cette sonnerie venait du côté ennemi.
    Puis, sur le champ même de la bataille, des groupes de brancardiers allemands, précédés de fanions aux insignes de la Croix-Rouge, se présentèrent pour ramasser les blessés.
    Du côté français, le feu cessa aussitôt. Mais les Allemands, utilisant cette ruse de guerre, en profitèrent pour avancer leurs lignes et reprendre le combat. Ce voyant, les nôtres firent de même.
    C'est ainsi que l'ennemi nous accusa d'avoir tiré sur leurs formations sanitaires.
    Un autre incident faillit avoir des conséquences tragiques.
    Le 30 août, quatre officiers et cinquante hommes environ de notre garnison, faits prisonniers, se trouvaient enfermés dans une salle de l'Hôtel de Ville de Montmédy. Dans la matinée, un chef du service sanitaire allemand vint trouver l'un des officiers prisonniers et lui demanda de lui indiquer, sur la carte, l'endroit exact du combat, pour lui permettre de faire relever les blessés.
    Le 31 août, ce chef sanitaire, accompagné de plusieurs officiers allemands, revenait à l'Hôtel de Ville et, hurlant, vociférant, déclarait qu'il avait trouvé dans la forêt, sur le lieu même des opérations, des soldats allemands ligotés aux arbres avec des cordes, et les yeux crevés à coups de baïonnette.
    Cette accusation était absurde : la garnison de Montmédy avait quitté la place sans aucun matériel et, lors du combat, les Français s'étaient trouvés dans l'impossibilité de faire le moindre prisonnier.
    Les officiers français se défendirent énergiquement de tout esprit de barbarie dans leur mode de combattre. Ce n'était, de la part des Allemands, qu'une entrée en matière pour arriver à des représailles extrêmement graves. Heureusement qu'à la même heure arrivait un ordre supérieur de diriger les prisonniers, par voie de terre, vers Longuyon, pour les embarquer vers l'Allemagne.

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