Historique du 5ème RIC (Lt BOURDET, Lib. Chapelot, 1920) numérisé par Julien PRIGENT CHAPITRE XIII
OPÉRATIONS sur la RIVE GAUCHE de la MEUSE
et dans le Secteur de VERDUN - NORD
(19 Octobre au 11 Novembre 1918)
Le 19 octobre, le régiment, qui a reçu l'ordre de se porter sur la rive gauche de la Meuse pour relever une unité américaine, se met en mouvement. Après une marche pénible de 25 kilomètres, tous les bataillons sont groupés aux bois Bourrus (ouest de Verdun, où ils arrivent vers 14 heures. Mais ils ne prennent que trois ou quatre heures de repos : à 18 heures, il faut repartir pour relever, dans la nuit même, un régiment américain au bois des Forges.
Cette nouvelle marche de 20 kilomètres est effectuée par une nuit noire et sous une pluie battante, dans le terrain a peine reconquis et désertique de la côte de l’Oie et du Mort-Homme, par des chemins affreusement défoncés et presque impraticables.
Les bataillons n’arrivent sur leurs emplacements que le 20, vers 4 heures du matin. Dans la journée, les reconnaissances du secteur sont effectuées et le soir même le régiment relève, en première ligne, le 132ème R.I.U.S., sur la rive gauche de la Meuse, devant Vilosnes et Sivry.
Au cours de cette relève, qui a été l’une des plus pénibles de toute la guerre, nos soldats ont fait preuve d’un bon esprit et d’une endurance admirables. A l’énorme fatigue causée par une, marche de 45 kilomètres exécutée en moins de vingt-quatre heures, s’ajoutait la souffrance morale due à la pluie continuelle et à l'impraticabilité des chemins dans lesquels nos hommes, enfonçant dans la boue jusqu’à mi-jambe, pouvaient à peine marcher. Il n’y eut pas un traînard.
Le secteur dans lequel se trouve le régiment est relativement calme. La Meuse et le canal, qui séparent nos premières lignes des positions allemandes, constituent deux fossés difficilement franchissables, les ponts avant été détruits par l’ennemi lors de sa dernière retraite.
L’artillerie adverse exécute de temps à autre des tirs de harcèlement, dont plusieurs à obus toxiques ; dans la nuit du 26 au 27 octobre, un de ces tirs nous met trente hommes hors de combat. Depuis l’entrée en secteur, les pertes sont de :
Officier : 1 blessé.
Troupe : 38 hommes hors de combat, dont 1 tué.
Opérations du 1er au 11 Novembre. Passage de la Meuse
Le 1er novembre, l’armée américaine exécute immédiatement à notre gauche une grande offensive combinée avec l'armée Gouraud.
Le 3 novembre au soir, tout le régiment est alerté sur l’ordre du commandement, au reçu des renseignements tendant à faire croire que l’ennemi bat en retraite sur tout le front. Le rôle du 5ème colonial est de franchir la Meuse le plus tôt possible, de prendre Vilosnes et de rétablir le pont détruit.
La situation est à ce moment la suivante : le bataillon Grossard, renforcé d’une compagnie du bataillon Bernard (3ème compagnie, commandée par le capitaine Sart), occupe la première position devant Vilosnes, avec trois compagnies en ligne et une compagnie en soutien. Le bataillon Bernard, en deuxième ligne, a une compagnie au bois Rond et une compagnie au bois d’En-Delà. Le bataillon Pélud, réserve de division, est stationné au bois de Forges.
Le 4 novembre, des tentatives d’attaque sont exécutées par les Américains à gauche, les 6ème et 2ème régiments coloniaux à droite : elles échouent. Le régiment, établi devant la Meuse dont
Les ponts de Sivry et de Vilosnes sont détruits, est dans l’impossibilité d’agir tant qu’on n’a pas progressé à ses ailes.
Le 5 novembre, les Américains réussissent à passer la Meuse devant Brieulles et jettent un point sur la rivière et le canal, à la lisière sud-ouest du bois de Châtillon. A droite, l’attaque des 6ème et 2ème R.I.C., échoue. Le bataillon Grossard a poussé le matin une reconnaissance sur Vilosnes, qui est fortement tenu par l’ennemi ; la reconnaissance est arrêtée à la brèche du pont par des mitrailleuses boches : elle y passe la journée.
Le soir, vers 17 heures, la compagnie Sart, renforcée d’une section de la 6ème compagnie mise à sa disposition, franchît la Meuse sur le pont américain de Brieulles ; elle se rabat vers l’est à travers le bois de Châtillon et s’avance dans la tranchée de Châtillon jusqu’à la route nationale N° 64 ; là, elle est arrêtée par le feu des mitrailleuses ennemies.
En même temps, la compagnie du bataillon Bernard qui occupe le bois Rond est poussée à la gauche du bataillon Grossard pour tenir la place de la compagnie Sart ; la compagnie qui est au bois d’En-Delà va au bois Rond.
Dans la nuit du 5 au 6 novembre, un détachement du génie, aidé par les pionniers du régiment, jette une passerelle sur la Meuse et le canal, à 700 mètres à l’ouest de Vilosnes.
Dans la journée du 6 novembre, le capitaine Sart reprend la progression, la section de la 6ème compagnie poussée en avant-garde. Après une marche difficile et rendue délicate par le tir des mitrailleuses ennemies, cette section, vers 15 heures, pénètre dans Vilosnes. Elle y fait quatre-vingts prisonniers, pendant qu’au sud du village le lieutenant Richard, commandant la 6ème compagnie, est tué glorieusement en tête de son unité, alors qu’il tente de ce côté le franchissement de la Meuse. A la nuit, la 5ème compagnie, commandée par le sous-lieutenant Larrandaburu, va relever dans la tranchée de Châtillon la compagnie Sart assez éprouvée.
Le lendemain matin, la 7ème compagnie, commandée par le lieutenant Dutheil, passe à son tour la Meuse et marche sur Haraumont, suivie des autres unités du 2ème bataillon. Vers 11 heures, elle arrive devant le village, qui est occupé sans coup férir.
Le bataillon Bernard, qui a traversé la rivière sur la passerelle du génie, marche dans les traces du bataillon Grossard. Le bataillon Pélud, remis à la disposition du régiment, reçoit également l’ordre de se porter sur Haraumont, par Consenvoye et Sivry.
Arrivé à Haraumont, le bataillon Bernard prend la tête et est poussé sur Bréhéville; mais il est bientôt arrêté vers la cote 314 par des feux de mitrailleuses partant de la cote 388 et par la présence de l’ennemi dans le Fond-de-Reculon. Il stationne en halte gardée, le bataillon Grossard derrière lui. Le bataillon Pélud est à Haraumont, près du colonel Cluzeau, commandant le régiment. Au reçu d’un renseignement faisant connaître que le 6ème colonial est arrêté devant l’ouvrage de la ferme Solférino, une compagnie de ce bataillon est poussée sur la route d’Ecurey, 1.500mètres à l’est d’Haraumont. Elle prend la liaison avec le 2ème colonial, qui a des éléments avancés sur cette route.
Le 8 novembre, le bataillon Bernard est arrêté une partie de la journée devant la voie ferrée de 0,60 ; mais une habile manœuvre lui permet de surmonter la résistance ennemie. Le soir, il rentre dans Bréhéville, abandonné par les Allemands, et il continue sa marche sur Jametz. A la tombée de la nuit, il est arrêté par des mitrailleuses qui tiennent la lisière sud-ouest du bois de Jametz et il stationne dans la plaine, son gros vers la station du chemin de fer, ses éléments avancés à 50 mètres de la lisière du bois. Le bataillon Grossard, qui le suit, s’installe à Bréhéville et sur les pentes à l’ouest et au sud du village. Enfin, le bataillon Pélud, qui a pris et maintenu la liaison avec le 6ème colonial (lequel remplace le 2ème comme régiment de première ligne), stationne au camp de la ferme d’Alger (corne sud-est du bois de Sarts-le-Puits).
Dans la nuit du 8 au 9 novembre, arrive l’ordre qui fait connaître le changement d’orientation de la division, qui doit maintenant marcher vers l’est, au sud de la route Haraumont – Ecurey - Peuvillers.
En exécution de cet ordre, le 9 novembre, le bataillon Pélud, devenant avant-garde, se porte de la ferme d’Alger sur Peuvillers, par Ecurey. Le bataillon Grossard est mis en route de Bréhéville sur Ecurey, par la Croix-du-Moulin-à-Vent, et suit le bataillon Pélud. Pendant ce temps, le bataillon Bernard flanc-garde ce mouvement dans la direction du nord-est puis, se porte par Lissey et Ecurey au camp allemand des Champs-Montants, où il stationne en réserve de régiment.
Un bataillon du 6ème colonial couvre notre gauche au nord de Peuvillers ; mais le village lui-même est vide : le bataillon Pélud y est accueilli par un feu nourri de mitrailleuses partant des abords de la route nationale Verdun - Montmédy et par un violent bombardement qui dure toute la journée.
Péniblement, il réussit à gagner la crête de la rive ouest de la Thinte. Le bataillon Grossard tient la voie ferrée entre Ecurey et Peuvillers. A la tombée de la nuit, une compagnie américaine vient occuper Peuvillers, relevant la 9ème compagnie commandée par le capitaine de Pinsun, et le bataillon Pélud s’établit en bordure de la route nationale, entre Peuvillers et Damvillers.
Le 10 novembre, le 128ème régiment attaque à notre gauche le bois Demange, le bataillon Pélud doit attaquer le bois des Montruts et le bois de Damvillers, dont il doit nettoyer la lisière sud-ouest pour faciliter la progression du bataillon Marmet, du 6ème colonial. Accueilli par un feu violent de mitrailleuses partant du nord, de l’est et surtout du sud, et par un tir de barrage parfaitement réglé sur la Thinte, le bataillon Pélud ne peut déboucler. A notre gauche, les Américains ne peuvent s’emparer du bois Demange. Le soir, le 128ème R.I.U.S. est établi en bordure de la route nationale, exactement sur notre alignement ; il a subi de fortes pertes.
L’ordre pour le 11 novembre dispose qu'après l'enlèvement du bois Demange par les Américains, le régiment attaquera le bois des Montruts et progressera jusqu’au pont des Quatre-Communes. Toutes les mesures sont prises pour réaliser cette avance : le bataillon Pélud, aux avant-postes, ne doit pas bouger ; le bataillon Bernard, chargé de l’attaque, vient avant le jour prendre son dispositif au sud de Peuvillers ; le bataillon Grossard, établi sur la voie ferrée, soutiendra le bataillon Bernard. Pour la première fois depuis le début de cette semaine d’opérations, un appui sérieux d’artillerie est espéré. Tout va se déclencher, lorsque, à 6 h. 30, la nouvelle de la conclusion de l’armistice et le contre-ordre pour l’attaque (sauf pour l’artillerie) parviennent. L’infanterie reste donc l’arme au pied pendant que les deux artilleries entament une violente discussion jusque vers 10 h. 30. Malheureusement, nous avons des pertes : l’héroïque capitaine Muller, commandant la 2ème compagnie, a un bras emporté et il meurt trois jours après.
A 11 heures, tout est terminé : la Grande Guerre a pris fin par la soumission complète de l’ennemi.
Une musique américaine, rassemblée à Ecurey devant le poste de commandement du colonel commandant le régiment joue la Marseillaise et l’hymne national des États-Unis. Pendant ce temps, le général commandant la brigade américaine voisine vient trouver le colonel Cluzeau et féliciter la France, au nom de son pays, d’avoir "remporté la Victoire".
Cette dernière période de la guerre a été pour le régiment particulièrement dure : le froid, la pluie, les marches incessantes dans la boue, les difficultés et le retard dans le ravitaillement, tout se réunissait pour abattre rapidement la force de résistance des hommes. Aux évacuations de blessés s’ajoutaient les évacuations de malades pour cause de grippe, d’épuisement et, les derniers jours, pour gelure des pieds. Les hommes et les cadres ont courageusement supporté ces rudes épreuves, aiguillonnés par la certitude du succès imminent et la perspective d’un armistice victorieux imposé à l’Allemagne.
Le régiment a fait environ quatre-vingts prisonniers ; le butin est impossible à définir car, dans cette série de combats poursuite, les unités marchaient constamment et ne pouvaient pas s’occuper de récupération.
Pertes du 1er au 11 novembre :
Officiers : 2 tués.
Troupe : 183 hors de combat, dont 9 tués.
De plus, cinq sont morts des suites de leurs blessures
La belle conduite du régiment pendant cette dernière partie de la guerre lui vaut une troisième citation à l’ordre de l’armée, conçue dans les termes les plus élogieux.
Extrait de l’Ordre général N° 38290 du G.Q.G. du 25 Décembre 1918
Le Général commandant la IIème Armée cite à l’ordre de l’armée le 5ème RÉGIMENT D’INFANTERIE COLONIALE :
" Régiment d’élite, animé d’un allant admirable, qui a donné déjà, en maintes circonstances, la mesure de sa valeur et vient d’en fournir une nouvelle preuve pendant les opérations du 3 au 11 novembre 1918 dans le secteur de Verdun - Nord.
Sous l'impulsion énergique de son chef le colonel Cluzeau, a exécuté dans des conditions extrêmement pénibles une manœuvre audacieuse qui a brisé la résistance de l'adversaire. Après avoir le 6 novembre 1918, franchi la Meuse sous un bombardement violent et sous un feu intense de mitrailleuses allemandes, a poursuivi ses attaques pendant cinq jours consécutifs, a refoulé l’ennemi sur une profondeur de 10 kilomètres et l'a rejeté de ses positions fortement organisées, lui infligeant de lourdes pertes et lui capturant des prisonniers et un important matériel ".