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HOMELIE PRONONCEE AUX
CHANOINE Jean ROUYER
LE 3 AOÛT
Chanoine Jean ROUYER et Marc RICHARD |
Toute vie humaine est don de Dieu, source et fin de toute chose, qu’on le sache, ou qu’on l’oublie ou même qu’on le nie. Toute vie chrétienne est aussi relation à Dieu présent dans l’intime d’un être par son baptême, sa foi, sa participation à la vie de l’Eglise. Mais toute vie sacerdotale est plus encore un ion au Père, au Christ et à l’Esprit saint, signe et témoignage de Jésus-Christ dans le temps intégration plus profonde encore au don du salut, car le prêtre est serviteur du peuple de Dieu, avec le pouvoir, en vertu du sacrement de l’ordre, de renouveler le sacrifice pascal du Christ et de pardonner en son nom. Ainsi tout prêtre choisit le Seigneur, comme les disciples et les apôtres, pour œuvrer là où l’envoie son évêque, avec tout son être, toutes ses forces, tout son cœur, jusqu’au terme de son existence, dans la totalité même de sa vie.
La mort d’un prêtre est, sans aucun doute, pour ceux qui l’on connu et aimé – ils sont nombreux et j’en suis – une peine profonde et comme une brisure. Mais elle est aussi chargée d’espérance. La vie d’un prêtre est centrée sur Dieu, sa raison d’être, c’est Jésus Christ, mais aussi l’attention et la disponibilité aux personnes rencontrées, où qu’elles en soient de leur foi ou de leur existence, parce qu’il est signe de communauté et d’Eglise. Selon ses charismes propres, le Père Rouyer l’a vécue intensément. C’est pour nous, frères ici rassemblés, un signe et un appel. Saurons-nous l’accueillir comme tel, nous qui avançons dans la vie, sans mesurer toujours notre temporalité, notre fragilité et la destinée christique qui est la nôtre ? Pour nous, prêtres, c’est aussi une invitation à bien faire l’œuvre de Dieu là où nous sommes placés par la volonté de notre évêque, dont nous sommes les collaborateurs dans cette mission diocésaine où chacun trouve son rôle propre, mais essentiel… Mais je crois que le Père Rouyer nous invite à prier pour qu’il y ait chez nous, en Meuse, des vocations. Il m’a souvent confié ce souci qui était le sien de voir le nombre des prêtres diminuer. Je crois qu’il nous invite à prier pour qu’il y ait des prêtres, des éveilleurs, mais aussi des témoins de la foi et de la charité dans une Eglise vivante. Tâche à laquelle il consacra la plus grande partie de sa vie.
1941: l'abbé Jean Rouyer, qui vient d'être ordonné prêtre, pose pour le photographe dans le cloître de la cathédrale de Verdun |
Le Père Rouyer a vécu ces dernières années la passion de Jésus Christ “achevant en lui ce qui à la passion pour son corps qui est l’Eglise“, comme disait saint Paul dans la première lecture. Puisse-t-il être à présent dans la pleine lumière de Dieu, en qui il a toujours cru sans l’avoir vu. Puisse-t-il aussi, près du Seigneur, intercéder pour tous ceux qui marchent encore en cette vie, sans toujours penser à leur avenir près de Dieu et à le préparer dès à présent. Puissions-nous tous un jour nous retrouver dans la plénitude de Pâques, dans cette vie éternelle à laquelle, si nous somme fidèles ou le redevenons, nous sommes tous conviés par l’amour infini de Dieu qui est Père, Fils et Saint Esprit. Amen.
Abbé Claude BIEBER
JEAN ROUYER
, dans l’église abbatiale, devant le grand vitrail de Salve ReginaJean Rouyer – “le“ Jean Rouyer - c’était Jean, c’était Jeannot. Puis le grand Rouyer, le grand “Rougi“ au rire éclatant. C’était, pour ceux de Glorieux, le Père Rouyer, ou le père…tout court. C’était l’abbé…, le chanoine. Chacun, à sa façon, lui disait son attachement. Je me rappelle. C’était en 1937, je crois, au mois de septembre, en cette période étonnant de l’année où la nature sait se parer de couleurs et de senteurs indicibles, qui font aimer notre région de l’Est, où tout se mêle pour en faire une terre merveilleuse. Quelques jours avant la rentrée à Glorieux, précisément, Jean Rouyer, séminariste, en soutane, col à peine entrouvert, avait pris la tête d’une expédition à bicyclette à l’abbaye d’Orval. Il y avait Irénée Louis, Gabriel Willaume, Robert Fontaine, mon frère Gabriel et moi-même, et deux ou trois autres garçons du Nord Meusien dont j’ai oublié les noms. C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois. L’équipée fut joyeuse et pleine de rires et de cris de gamins heureux de leur liberté, mais plus extraordinaires encore, furent les trois jours de “récollection“ passés dans l’abbaye même, au contact des moines, où alternaient les jeux, la réflexion, la lecture, la prière en commun… ; journées closes le soir, par le chant du
1940. je me rappelle. Encore Glorieux – un jour clair de mars – dans la cour. Voici, soudain, surgissant à grandes enjambées, une silhouette de militaire, en tenue kaki, riant, tendant les bras, nous accueillant. Immédiatement, un groupe s’était formé autour d’un caporal. C’était Jean Rouyer “aux armées“, qui nous racontait, hilare, comment l’armée française savait, en pleine guerre – mais n’était-elle pas “drôle“ ? – utiliser les compétences. Lui le “curé“ ou l’“apprenti curé“, promu caporal, était devenu…boucher.
1975:saint-Maurice-sous-les-Côtes: l'abbé Vautrin et le chanoine Rouyer (cliché Préinventaire de Lorraine, collection Jean ROUYER |
de l’Atlas linguistique et ethnographique. Le père Rouyer est prêtre. Depuis 1941. Il est encore là. “Comment vas-tu?... Que deviens-tu?… “Les routes des uns et des autres se sont mises à diverger. Et cependant, le grand cœur du prêtre, ami plus que jamais, est là pour redire que rien n’est changé, que le chemin reste toujours tracé vers Dieu, un Dieu bon et accueillant à tous. Le père Rouyer est là, tendant les bras, pour vous embrasser, le visage illuminé d’un sourire dont lui seul avait le secret. Une communion d’un neveu à Glorieux, vers les années 68, un mariage d’une nièce ailleurs. De nouveaux liens se nouent grâce à une recherche en sciences humaines dont beaucoup de points sont communs. Le père Rouyer répond à ma sollicitation quand je lui demande de m’aider dans la recherche de témoins pour 1944
Prêtre, savant, chercheur, ami. Lors de l’érection de cette croix, il y a huit ans, c’est lui qui accueille sur le site les nombreuses personnes qui s’y pressent ; il fait réciter le chapelet à la foule qui attend l’arrivée de la croix tractée sur un véhicule hippomobile depuis le village. Il concélèbre la messe en plein air avec Irénée Louis, André l’Honoré, le père Bonnet. Emouvante cérémonie en effet que celle-là, suivie d’une rencontre fraternelle dans la cour du château du village. La joie du père Rouyer est grande, il est entouré, fêté et, le lendemain, il a la délicatesse de m’envoyer un mot pour nous féliciter de notre initiative villageoise. Sans lui, devant les réticences, voir l’opposition de certains de ses confrères, notre croix n’aurait pas été replantée. Elle reste fièrement debout, au milieu de notre terroir, où chacun s’ingénie à l’entretenir de son mieux.
de Saint-Nicolas-de-Port. C’est le père Rouyer qui prononce le sermon de la messe, c’est lui qui laisse éclater son admiration devant les paroles d’un ministre de l’Atelier 54 Le père Rouyer, d’emblée, avait tenu à nous signifier que l’expression de la foi ne se sépare pas de la cérémonie qui associe chant, musique et rencontre fraternelle intervillage. Trois ans plus tard, le village de Fresnois, le dimanche 24 août 1986, accueille le ministre de l’Agriculture François Guillaume pour l’inauguration de deux vitraux dans le chœur de l’église. Le dessin en a été soumis au père Rouyer avant son exécution par
Alors que bien des choses, humainement parlant, auraient dû l’abattre ou pu l’attrister : la relève en prêtres mal assurée, l’abandon par certains, parmi ses élèves, de leur sacerdoce, la solitude- celle du prêtre- la sienne en particulier, malgré la chaude affection de ceux qui l’entouraient, dans sa “cellule monacale“ de la place Monseigneur Ginisty- qui n’était décemment pas “vivable“ -, une espérance l’habitait, mieux une certitude : la cause qu’il avait servi avec passion n’était pas perdue, elle ne “pouvait“ pas l’être. Sa vie, pour nous tous, est une référence. Son existence constitue à elle seule un message permanent. Si nous sommes ici, à Lissey, nombreux, pour célébrer sa mémoire, c’est bien pour dire que ce message a été entendu.
Merci, à vous, père Rouyer, d’avoir été ce que vous avez été.
Jean LANHER
PRETRE ET ERUDIT
Le chanoine Rouyer n’a pas été un isolé. Pour beaucoup d’entre nous, sa vie et son œuvre méritent de figurer dans l’infanterie savante, reine des batailles de l’érudition locale.
La fréquentation de prêtres historiens, archéologues, ethnologues, etc.., des diocèses champenois et lorrains depuis un demi-siècle, autorise-t-elle quelques généralisations ? A chacun reviendra la tâche d’atténuer ou d’accentuer le dessin et les couleurs d’un portrait que je tente de brosser devant vous :
Le prêtre savant est d’abord un héritier. Certes, il s’attaque à des sujets moins vastes que ceux traités par les Bollandistes, les Mauristes et les Vannistes, mais comme Dom Mabillon, Dom Calmet, Dom Bernard de Montfaucon, il a une hantise : la précision dans la vérité. Il faut dix ans de recherche pour mettre au point un article sérieux.
Le prêtre savant, par sa famille, ses études, ses ministères, a une connaissance expérimentale de l’humanité des villages et des bourgs. Il a vérifié que si l’on peut douter de l’existence de Dieu, on ne peut pas douter de l’existence du péché originel (succession, remembrements, élections au conseil municipal). On ne trouve pas chez le prêtre savant des draperies sonores comme chez Rousseau, Lamartine, Romain Rolland, Sartre ou encore comme chez tant de théologiens séculiers ou réguliers. Le prêtre est du côté de Bossuet : “ L’illusion que les choses sont ce que l’on veut qu’elles soient est le pire dérèglement de l’esprit“. Dans chaque homme, sans broncher, sans se lamenter, il faut être prêt à rencontrer un Judas et un François d’Assise, et encore un Jérôme Paturot, un Bouvard, un Pécuchet, un Tartarin…
Le prêtre savant est fier de sa modestie. Le plus souvent, il a vaincu la tarentule de la publication. Il sait qu’il pécherait en exagérant l’importance de ses découvertes, en passant du local à l’universel. A l’inverse, ne lui demandez pas d’écrire le contraire de ce qu’il a découvert. Lorsqu’il doute, il préfère se taire. Les modes l’atteignent peu.
Dans tout prêtre savant, on trouve un peu du caractère de l’abbé Thiers (1636-1703). Dans ses recherches, il se veut totalement libre à l’égard des autorités religieuses du moment. Les évêques passent. Seule la vérité demeure.
4 octobre 1967: le chanoine Rouyer, secrétaire de la Société des Naturalistes et Archéologues du Nord de la Meuse et capitaine de "l'équipe gagnante du "Lion-Ailé, jeu concours culturel organisé par Télé-Luxembourg, reçoit le trophée du vainqueur. |
Le prêtre est l’homme de la longue durée. L’histoire immédiate-cette escroquerie des temps médiatiques- n’est pas son lot. Les siècles s’enchevêtrent, les hommes viennent de plus loin qu’ils ne le croient. Le “sans précédent“ est presque toujours du vieux neuf.
Le prêtre savant est seul dans sa recherche. Il a souffert-mais finit par ne plus souffrir -d’être critiqué par ses confrères, l’évêché et même par le gros des laïcs. Les paroissiens aimeraient que Monsieur le Curé s’occupe davantage des vivants que des archives ; ils ne se doutent pas que l’histoire d’hier, enfin mieux connue, sera plus utile à leur progéniture que tant de bonnes œuvres up to date diffusées en province (avec retard) par des centrales diocésaines. Les politiques pastorales sont toujours grosses de promesses électorales.
Le prêtre savant jadis adversaire du maître sans Dieu, fraternise, aujourd’hui, avec l’instituteur laïque ou le professeur d’histoire du collège voisin. Vers la fin de sa vie, il finit par être connu et honoré par un professeur d’université, lui aussi souvent désolé d’être isolé dans sa spécialité.
Le prêtre savant reçoit de temps en temps, les catalogues des libraires de livres d’occasion. Il peut lire dans un catalogue du printemps 1990 : JOIGNON (Abbé C.P.) -Aux confins du Barrois et du Verdunois. Rembercourt-aux-Pots (Meuse), sa curieuse église (XVe et XVIe siècles);
L’œuvre de l’abbé Rouyer (chanoine et historien, dit la plaque de la place qui porte son nom) va continuer de vivre. Votre présence d’amitié a valeur d’engagement : travailler sans relâche à mieux comprendre, donc à mieux aimer les hommes de son terroir, pour apprendre à aimer en vérité les hommes de tous temps et de tous pays.
Père Serge BONNET, o.p.
Directeur de recherches au CNR