Cela se passe au Moyen Age, pendant la guerre de Cent Ans, lors du Grand Schisme d'Occident (1378 à 1429), ( un schisme est la séparation d'un groupe religieux en deux). A l'époque, il y avait deux papes: l'un à Avignon, Clément VII, soutenu par la France (naturellement) et l'Espagne; l'autre, à Rome, Urbain VI, soutenu par l'Allemagne et l'Italie, et qu'elles reconnaissaient comme le pape légitime (naturellement).
A l'Evêché de Verdun, qui était entre les mains de Clément VII, lors de la succession de Guy de Roye qui s'était démis de ses fonctions, Liébauld de Cousance fut confirmé pour lui succéder.
Cependant, un chanoine de la cathédrale, nommé Rolin de Rodemach, parent de l'empereur Wenceslas, d'Allemagne, s'étant opposé à l'élection de Liébauld, obtint du pape Urbain VI, les provisions de cet évêché; mais les chanoines ne voulurent pas le reconnaître. Rolin en porta sa plainte auprès de l'empereur. Celui-ci menaça le Chapitre ( lettre d'Arlon du 28 septembre 1379) de ne plus le reconnaître comme catholique, etc. Ces menaces n'ayant rien opéré, Rolin eut recours aux seigneurs de Rodemach ses parents et alliés; ils firent de grands dégâts et si grands ravages, sur les terres du Chapitre, que les pertes furent estimées à plus de sept mille livres.
Richard de Wassebourg (1494-1556), originaire de Saint-Mihiel, archidiacre de la cathédrale de Verdun, nous raconte cet épisode dans son ouvrage "Antiquitez de la Gaule-Belgique (1549).
Pour lui, l'ennemie la plus cruelle de l'évêque et du clergé de Verdun pendant ce schisme , était Béatrix de Bohème ( la reine blanche). Elle fut si vivement piquée contre le Chapitre, qui avait refusé de recevoir Rolin de Rodemach, son parent, pourvu de cet évêché par Urbain VI, dont elle soutenait le parti avec chaleur, qu'elle demanda des troupes à l'empereur, également choqué de ce refus, pour détruire l'évêché et le Chapitre de Verdun. Elle s'était fortifiée dans son château de Damvillers et faisait faire des incursions continuelles sur les terres de cette Eglise. Et Richard de Wassebourg de nous en donner le détail:
- en l'année de l'élection de notre évêque Liébauld de Cousance, pendant la vacance de l'évêché, que le chapitre administroit, y eut un homme séculier non prebstre aulcunement sçavant, vacabond, larron et pillard qui avait faulses lettres de prebstrise, entrepris comme mercenaire et chappellain, de servir la cure de Severy sus Meuse (Sivry-sur-Meuse). Il tenait une concubine, celebrant souvent armé soubz ses vestements, tellement que par succession de temps son cas fut congneu, parquoy fut cité devant l'official commis dudict chapitre, lequel ne comparu, ainsi se retira à refuge au chasteau de Dampvilliers. Et à la poursuite la dicte Béatrix fait courir par ses gens les villages de Flabaix (Flabas) et Sontreville (village près de Sivry qui n'existe plus) et amena dans son chasteau toutes les bêtes et proye d'iceux villages, qu'elle appliqua à son profit, estimez à plus de mille livres tournois. Toutefois tost après, le dict larron fut pris par les gens du bailli de Laon qui étoient en garnison sus les frontières de France, et fut pendu à Montfaucon près Verdun.
- un jour, l'un des serviteurs de la dicte Beatrix faisait paistre son cheval au prez de Viterville (Vittarville), auquel le messier de la ville (qui ne le cognoissoit) dict seulement que c'estoit mal faict. Incontinent le dict serviteur s'en va à Dampvilliers, et dict à la dicte Beatrix que le messier lui avoit tué un jeune Hairon (héron), qu'il luy portoit et soubdainement ladicte dame ordonna prendre toute la proye dudict Viterville (Vittarville), village du dict chapitre et arrivez en son chasteau fait tuer six des plus beaux boeufs valant plus de quarante huict florins.
- il y avait un homme subjiect du dict chapitre qui devoit grosse somme de deniers à ceulx du chapitre et à plusieurs aultres. Qui voyant qu'on le contraignoit, se retira au chasteau de Dampvilliers, à raison de quoy fut ordonné par le chapitre l'arrester si on le trouvoit sus la puissance du dict Chapitre, ce qui fut faict: mais la dicte Beatrix sans autre requeste fit courir par ses gens, trois villages dudict chapitre: scavoir Mele (Merles), Dymble (Dimbley), et Dembras (Dombras), ou ilz feirent dommage de plus de deux mille livres.
Enclave luxembourgeoise de Damvillers
- combien de ceulx de la duché de Luxembourg par accord fait avec le feu mary de la dicte Beatrix duc de Luxembourg et roi de Boësme, ne peuvent retenir en bourgeois les hommes du chapitre: toutefois la dicte royne retenoit tous les fugitifz des terres dudict chapitre, et les deffendoit en son chasteau. A raison dequoy le prevost officier du dict chapitre, trouva un jour quelqu'un, qu'il feit arrester. A ceste cause ladicte Beatrix ordonna brusler deux moulins dudict chapitre circonvoisins de Dampvilliers et courir trois villages, prendre les biens, estimez à plus de trois molle livres, et mettre les pauvres gens en profonde prison. Et d'avantaige ordonna brusler toutes les terres de chapitre, tellement qu'ilz furent contraictz, pour empescher ledict commandement, lui donner cent florins à l'escu de France et rendre l'homme arresté
- un jour advint qu'à la ville de Flabaix (Flabas) y eut un homme et une femme accusez de larrecin prouvé evidemment contre eulx et par tant condamnez de larrecin: mais avant l'execution les gens de ladicte Beatrix vinrent audict Flabaix et par force menèrent les prisonniers condamnez à Dampvillers. Contre lesquels nonobstant fut procédé par bannissement et confiscation de biens. Mais la dicte Beatrix les renvoya au dicte village et maulgré le dict chapitre y firent leur demeurance sans estre puniz, pour les menasses qu'elle faisoit de brusler les terres du dict chapitre.
- la dicte Beatrix sans scavoir cause, envoya courir ceulx de Belleville, village dudict chapitre et emmener trente des plus belles vaches du village
- sans scavoir cause , la dicte Beatrix fit pescher l'Etang de Lucey (Lissey) appartenant audict chapitre et prendre tout le poisson pour son quaresme, estimé à mil florins.
- le quaresme dernier passées l'année que le roy fut à Verdun, la dicte royne fit grosse assemblée des gens d'armes jusqu'au nombre de cinq cent chevaulx, qu'elle fit loger en deux villages dudict chapitre, Severy (Sivry) et Soutreville, qui ont despenduz en fournitures et victuailles plus de deux cens livres tournois. Et peschèrent les Etangs de Lucey (Lissey) des appartenances dudict chapitre, le poisson desquels étoit estimé à mil florins.
- non contens de ce, le lendemain firent prendre tous les chevaulx et chariotz de Dampvillers, et charger plus de sept vingt Rez de froment desdictz villages et mener à Dampvillers: chascun Rez estimé quatre florins à l'escu de France. Et firent autres despens pour plus de cens livres tournoys.
- outre ce que dessus a été advisé que depuis deux ans en ça les gens de la dicte Dame, en passant et repassant par les terres et villagesz desdictz de chapitre, ont fait dommage de plus de deux mille livres.
- lesdictz de Chapitre voyant et considerans les grands maulx et destruction de leurs terres et subjectz, cuidans (croyant) gaigner la grace de ladicte Beatrix de misrent en sa garde pour trois ans: mais nonobstant sa promesse de las bien garder, elle ne cessa faisant tousjours de mal en pis, de force que les pauvres subjectz tous destruicts furent contrainctz abandonner terres et maisons.
Béatrice (ou Beatrix) de Bourbon, sa vie (1312-1383)
En fait, on ne connait pratiquement rien de sa vie à Damvillers, hormis par quelques actes officiels concernant la gestion de ses biens. De même les historiens sont incapables de déterminer avec précision l'emplacement de son château; Mr et Mme CROS de Damvillers qui ont fait quelques recherches à ce sujet pensent que celui-ci pourrait être celui de Mureault.
Jeantin nous dit qu'elle était hautaine et tracassière, il se réfère sans doute aux écrits de Richard de Wassebourg cités plus haut.
C'était la fille de Louis Ier de Bourbon dit le Grand, comte de Clermont et de la Marche, et de Marie de Hainaut. Béatrice est la 3ème enfant du couple qui en avait 10. C'est par son père, l'arrière petite fille de Louis IX, "Saint Louis".
En 1334, elle épouse Jean comte de Luxembourg et roi de Bohème dit "l'Aveugle", ami du roi de France Philippe IV de Valois, qui l'a incité à ce remariage.
Le contrat prénuptial est signé à Vincennes en présence du roi de France.
Béatrice reçoit de son père 4000 livres de rente et comme sûreté (assurance) la seigneurie de Creil; au comte de Clermont.
Jean assigne à son épouse, 6000 livres tournoi sur les villes et prévôtés de Marville, si celle-ci lui appartient, Saint-Mard et sur le "chastel" et la ville de "Deymviller" (Damvillers). Il promet qu'en cas de naissance d'enfants mâles, il leur donnera les comtés de Luxembourg, de La Marche et de la Roche, les terres d'Arlon, de Durby et de Poilvache avec leurs dépendances et toutes ses autres terres qu'il aura en France.
Jean reçoit du roi de France "pour bons, profitables et agréables services " 4000 livres de rente viagère à tirer sur son trésor et à prendre en rente perpétuelle sur le château de Mehun-sur-Yèvre en Berry.
Il faut que ce contrat reçoive le consentement des deux frères de Béatrice, Pierre et Jacques et surtout les deux fils ainés (nés d'un précédent mariage avec Elisabeth de Bohême) de Jean de Bohème, Charles et Jean-Henri. Ces deux derniers font quelques difficultés, Charles craignant d'être dépossédé en tant que fils aîné. Même hésitation pour les gens de Bohème.
Charles ratifie le contrat en 1335, les Luxembourgeois en 1336 et Jean-Henri en 1338.
Un grand tournoi marque les festivités de la noce. Ce jeu prend une allure extrêmement brutale. Un grand nombre de chevaliers sont gravement blessés, dont Jean lui-même. Le roi de France apprenant la nouvelle, entra dans une grande colère et fit emprisonner tous les chevaliers qui y avaient participé et seule une intervention de Jean de Bohème permit de les libérer.
Le couple fait son entrée à Prague en 1335.
Le couronnement de la reine a lieu en 1337, dans l'indifférence générale.
Devant la tiédeur de l'accueil en Bohème (c'était une étrangère), Jean renvoie Béatrice , sous bonne escorte à Luxembourg. Il semble que la reine ne retournera jamais à Prague.
A la mort de Jean de Bohème, en 1346, Béatrice et Wenceslas (leur fils) pensent exercer leurs droit sur les succession confirmés par Jean en 1340 à Tournai: << nous ordonnons, créons et faisons Wenceslas notre héritier de tout le comté de Luxembourg, des terres et des autres biens situés dans le royaume de Luxembourg>>. mais Charles, le fils aîné de Jean, qui venait d'être élu roi d'Allemagne, passe outre ces dispositions, s'empare de l'administration du comté de Luxembourg au mépris des droits de Béatrice et Wenceslas ( il est vrai que celui-ci n'était alors âgé que de 9 ans). Ce n'est qu'en 1354, que Charles devenu empereur consentira à laisser son demi-frère gérer les affaires des Luxembourgeois. A partir de ce moment, il sera attentif à préserver leurs droits et veiller à leurs besoins.
C'est à Damvillers que Béatrice va élever et éduquer son fils.
Elle va exercer tous ses droits pour soutenir ses finances: reprises et hommages des vassaux, paiement des usages et aisances (Damvillers, Lissey, Peuvillers et autres villages du Luxembourg), etc... Elle va poursuivre l'œuvre de Jean de Bohème pour le renforcement des défenses de Damvillers.
Après 1365, Béatrice se remarie à Grandvilliers avec Eudes VI, sire de Grancey; mais elle continue à porter son titre de reine de Bohème.
A signaler, "L'étang de la Reine", à Lissey, était sa propriété, d'où son nom.
On ne peut naturellement pas parler de Béatrice de Bohème sans mentionner son mari: Jean de Luxembourg dit l'Aveugle et rappeler quelques anecdotes le concernant.
C'était le type même du chevalier du XIVème siècle. Il était hardi, remuant, inquiet, turbulent, follement prodigue, ne cherchant qu'à agrandir sa puissance personnelle, sans être trop scrupuleux sur le choix des moyens. On ne peut suivre Jean l'Aveugle dans les expéditions multiples qui ont rempli sa vie et dans lesquelles il déploya une activité surprenante. Citons ses escarmouches en Bohême contre des vassaux mécontents, sa guerre contre Metz (1324-1327), trois campagnes en Lithuanie (1328,1336 et 1345) et deux en Italie (1330, 1332/33).
Sa cécité n'était pas congénitale. Sa vue paraît avoir été faible dès son enfance. Pendant sa seconde campagne de Lithuanie (1336) le brouillard intense et permanent qu'un hiver d'une douceur exceptionnelle étendait sur les plaines marécageuses l'Allemagne du nord, provoqua une ophtalmie qui se montra rebelle à tout traitement. A son retour de cette expédition, il suivit à Breslau, sur les conseils d'un médecin français, un traitement qui ne fit qu'aggraver le mal. Emporté par la colère, il fit coudre dans un sac et noyer dans l'Oder le malencontreux médecin. Rentré à Prague, il fit appeler un oculiste arabe renommé qui eu la bonne idée de se faire délivrer un sauf-conduit avant de commencer le traitement. Sans cette précaution, il eut probablement partagé le sort de son prédécesseur, car la cure se termina par la perte complète de l'œil droit. Comme il arrive fréquemment en pareil cas, la perte de cet œil provoqua une aggravation des douleurs de l'œil restant dont l'aptitude visuelle avait considérablement diminué. En 1340, il se rendit à Montpellier, pour y consulter la faculté de médecine qui jouissait d'une immense réputation dans toute l'Europe. Celle-ci ne fut pas plus heureuse que le médecin arabe: Jean devint complètement aveugle.
Mais ce sont surtout les circonstances de sa mort qui le firent entrer dans la légende.
Bien qu'aveugle, il participa, en 1336, à la bataille de Crécy, entre Philippe VI de Valois, roi de France, et Edouard III, le roi d'Angleterre. Il voulut prendre part à la bataille et pour pouvoir, comme il disait<<férir un coup d'espée>>, il fit attacher son cheval aux chevaux de ses compagnons. Dans cet équipage, il se jeta au fort de la mêlée et fut massacré ainsi que ceux qui l'entouraient.
Leur fils, Wenceslas Ier (1352-1383), fut mis au monde par césarienne, ce qui à l'époque était rare. Il mourut de la peste. Il augmenta considérablement ses possessions et développa le commerce, l'industrie, la sécurité des personnes et par conséquent le bien-être de ses sujets. Il était aussi poète réputé. Il fut enterré à Orval après un règne de 31 ans. Son mariage avec Jeanne de Brabant étant resté stérile, il donna le duché de Luxembourg avec toutes ses dépendances à son frère Charles IV.