Les justices de Bréhéville
On trouve sur le territoire de la commune de Bréhéville deux lieux-dits " Les fourches patibulaires" et "Les hypotences", témoignage d'un passé qui remonte au Haut- Moyen-âge.
On peut également apercevoir l'emplacement de cette "justice" sur la carte ci- dessus que m'a remise M. FALLET de Bréhéville. On sait aussi qu'il existait une "justice" à Delut. Celle-ci n’apparaît plus sur le cadastre mais un vieux document datant de 1696 fait état de « le long du chemin de la justice, aujourd’hui chemin de la potence ». En fait, dans notre secteur, beaucoup de villages en possédaient une: Brandeville où apparaît sur l'ancien cadastre, un "chemin de la potence", à proximité du territoire de Bréhéville, laissant supposer que les deux communes utilisaient le même gibet; Mureaux, Marville, Han les Marville, et probablement bien d'autres dont les traces ont disparues. Tous les vestiges patibulaires de l'époque ont probablement été détruits à la Révolution par les habitants des villages. Souvent les lieux-dits en restent le seul témoignage. Pour Lissey, je n'ai trouvé aucun document faisant allusion à un lieu dédié à l'accomplissement de la justice sur son territoire.
Les fourches patibulaires ont été initiées au début du 12ème siècle. Le nombre de piliers des fourches variait suivant la qualité des seigneurs qui exerçaient l'autorité de justice et d'application de la sentence. Les ducs pouvaient en avoir huit, les comtes six, les barons quatre, les châtelains trois et les simples gentilshommes hauts justiciers deux. Mais ce droit variait selon les différentes coutumes locales.
L'évêché de Verdun de qui dépendait alors la terre de Bréhéville avait droit de basse, moyenne, et haute justice en son domaine. Il avait droit aux fourches patibulaires et selon toute vraisemblance, les utilisait au même titre et de la même façon que les autres ayants droits de justice. Sans nul doute, d'une manière aussi expéditive.
Généralement, les fourches patibulaires étaient placées au milieu des champs, près des routes, et au sommet d'une éminence, de façon à être vues de loin, souvent sur le territoire d'une seigneurie dont le maître des lieux était aussi l'exécuteur des sentences. Sur la carte, l'endroit utilisé nous paraît être isolé, en dehors de toute habitation, mais il faut réaliser qu'autrefois, la RD 102 n’existait pas et que toutes les communications entre les villages sous les côtes se faisaient par la "montagne". De même, à Delut, la potence était installée sur le point le plus haut de la commune (272 m), près de l'ancienne route allant de Damvillers à Montmédy.
Certains gibets étaient construits en bois. C'était le cas dans nos campagnes. Ils comportaient une traverse supérieure soutenue par des poteaux plantés en terre. Les criminels y étaient attaché lors des exécutions par pendaison, l'une des méthodes exécutoires de l'époque qui comportait toute une panoplie de supplices tous plus barbares les uns que les autres: l'écartèlement, le pal, la fusillade, la flagellation, etc... Les corps étaient ensuite exposés à la vue, jusqu’à « complète consommation » (c’est-à-dire décomposition) et à la vindicte des passants qui ne se privaient pas pour gratifier les criminels passés dans l'autre monde, de tous les reproches et insultes possibles, comme si on infligeait au défunt, une double peine, post mortem. Sans oublier l'assaut des oiseaux de proies et autres corbeaux toujours nombreux autour du
Malgré l'aspect hideux de celui-ci et l'odeur pestilentielle qui s'en dégageait, cela n'empêchait pas le public, qui venait souvent de fort loin, d'assister aux supplices, de vilipender les criminels. Tout cela ne gênait nullement le paysan du coin, dont les biens se trouvait à proximité, de labourer son champ...
Et puis, l'une des curiosités judiciaire du moyen âge était les procès en justice d'animaux comme les porcs vivant en liberté. Souvent, il arrivait qu'une truie ou un porc dévore un enfant, se rendant ainsi coupable d'homicide. Il ou elle était jugé et condamné aux fourches patibulaires auxquelles il ou elle était pendu après avoir été vêtu d'un costume d'homme. Il y avait également des procès contre les bœufs, les poules, et plus étrange encore, contre les vers et les chenilles....
Entre le 5e et le 13e siècle une forme de petite délinquance sévissait dans les campagnes. Elle trouvait, la plupart du temps, son explication dans la pauvreté frappant les populations avec son lot de famine, de frustration. Pour survivre et nourrir les enfants il n'y avait d'autre solution que de voler des produits de basse-cour, de braconner sur le territoire de chasse du seigneur qui lui mangeait à sa faim. De tels comportements étaient lourdement réprimés et leur coupables jugés par l'autorité de basse justice, dont la compétence se limitait à ce genre de larcins et de rapines.
Témoignage de la justice expéditive de l’époque, la « croix du crochet » ou « croix du pendu », que la commune d’Ecurey vient de faire restaurer, se trouvait autrefois au milieu des vignes. Elle a été déplacée au bord de la route au XVIIIème siècle. La légende raconte qu’un voleur de raisin y fut pendu à proximité, d’où son appellation. Et pourtant la vigne appartenait aux chanoines du Chapitre de Verdun comme nous l'avons vu, un peu avant, dans "Miettes d'Histoire".
La loi, en la matière était-elle respectée ? Nul ne le sait. Et rien n’indique l’absence de débordements, d’excès dans le prononcé de la sentence. Un voleur de poule pouvait être amputé d’une main: ce qui le culpabilisait pour le restant de sa vie. Une sanction à perpétuité, en quelque sorte, et une double peine pour le vol d’un peu de nourriture, afin de survivre et d’apaiser sa faim et celle de ses enfants. Mais, fort heureusement, aussi invalidante que fût la peine, le coupable échappait aux fourches patibulaires. Dans ce domaine il y eut sans doute des abus avec le comportement de certains seigneurs va-t-en-guerre et sanguinaires, condamnant à tour de bras, sans discernement, ni humanité. Ne furent-ils pas tentés de régler leurs comptes avec certains de leurs sujets ? Car dans l’intimité des campagnes il s’en passait des choses. Le seigneur déléguait son autorité à un bailli, un sénéchal, un prévôt, souvent moins conciliant, dans le but de renforcer la considération de son maître. Très certainement, il y eut des abus dans l’interprétation des textes et leur application, car en basse et moyenne justice, ils ne définissaient pas les frontières de façon précise dans le classement des délits. Cela entraina inévitablement des injustices ou des fautes impardonnables de discernement de la part de la justice seigneuriale tellement sollicitée par l’abondance des délits qu’elle dût faire appel au clergé, dont le rôle et le comportement reste indéfini.
Et pour assurer l’exploitation des fourches patibulaires on ne peut écarter la possibilité d’une utilisation extracommunautaire du site et cette éventualité ne peut être entièrement exclue car elle permettait un fonctionnement permanent des gibets, grâce à un apport plus conséquent de condamnés.
La justice seigneuriale était la prérogative du seigneur. Elle s'étendait sur tous les habitants de son territoire et s'appliquait à tous les délinquants arrêtés sur celui-ci.
Elle s'étendait sur deux niveaux:
- la Haute justice qui s'appliquait au pénal: crimes punis de mort, de peines corporelles, etc... Les marques extérieures de la haute justice étaient le pilori, le gibet, les fourches patibulaires, etc... montrait son caractère répressif.
A partir du XIIème, XIIIème siècle le pouvoir royal mettra progressivement fin à l'anarchie féodale et permettra le développement d'un domaine s'étendant aux procès importants justifiant le recours au judiciaire.
- la Basse justice s'opposait à la Haute justice, son domaine s'étend à toutes les affaires de moindre importance (dégâts des bêtes, injures... et amendes de faibles valeurs)
- la Moyenne justice quant à elle apparaît au XIVème siècle (rixes, injures, vols...) qui ne peuvent être punis de morts et dont l'amende ne dépasse pas 75 sols tournois).
Si tous les seigneurs banaux ont la basse justice, ils usurpent parfois la haute justice retenue par un seigneur supérieur.
Les preuves et voies de recours sont très rudimentaires.
Malgré les efforts de l'Eglise la preuve ordinaire est encore souvent l'ordalie ou "jugement de Dieu".
Les hommes du Moyen-âge accordent à la religion une place importante dans leur vie quotidienne. Personne n'imagine mener son existence en dehors de l'Eglise et nulle sentence n'est plus grave que celle de l'excommunication qui rejette le condamné de la religion chrétienne.
Une épidémie survient-elle ? Une tempête ravage-t-elle les récoltes ? La mort emporte-t-elle un être cher ? Les populations désemparées se tournent vers Dieu, à la recherche de réponses ou d'explications.
Aujourd'hui, quand un magistrat travaille sur une affaire judiciaire compliquée, il a à sa disposition tous les moyens nécessaires pour découvrir la vérité. Si le témoignage de quelques personnes interrogées ne lui suffit pas pour démasquer le coupable, il appelle à son aide les scientifiques qui, par des examens précis et minutieux, parviennent, en principe, a apporter la solution de l'enquête.
Il y a plusieurs siècles, les hommes n'ont pas toutes ces méthodes pour les aider. Celui qui rend la justice (un seigneur, un évêque, un roi) ne peut compter que sur son bon sens, sa malice ou sa logique pour discerner le menteur de l'honnête personne. Parfois, les paroles des uns et des autres ne suffisent pas à désigner le coupable. Dans ces cas là, le juge n'a plus qu'une dernière solution: demander à ce que Dieu lui-même révèle la clé du mystère.
Cette attitude nous parait aujourd'hui étrange. Imaginons qu'un magistrat, incapable de découvrir le responsable d'un délit se tourne vers Dieu en pleine audience et fasse appel çà son aide... Cela en ferait rire plus d'un. La religion n'a pas sa place dans les tribunaux de notre pays et jamais un prêtre ne pourrait éclairer de ses conseils un procureur en difficultés. Mais au Moyen-âge, les choses n'allaient pas ainsi.
Quand un homme s'estime injustement accusé par ses voisins ou les membres de sa famille, il peut faire appel à la divine Providence pour se disculper. Bien sûr, même à l'époque médiévale, personne ne s'attend à ce que Dieu apparaisse en plein tribunal pour apporter sa réponse. On fait subir à l'accusé une épreuve (une ordalie) difficile. Si celui-ci s'en tire avec les honneurs, alors on estime qu'il disait la vérité puisque Dieu l'a soutenu et il est aussitôt acquitté. S'il ne parvient pas à accomplir la tâche imposée, alors Dieu l'a abandonné puisqu'il ment: le voilà condamné.
Ces épreuves sont terrifiantes et parfois certains préfèrent reconnaître un crime imaginaire plutôt que d'avoir à les affronter.
Un témoignage raconte par exemple qu'en 1077, le chevalier Guillaume est accusé de meurtre par ses parents et ses vassaux. Pour échapper à la vengeance de ceux qui le croient coupable, il se réfugie dans un monastère. Puis il demande à être jugé à la cour de son suzerain, afin qu'il lui offre la possibilité de prouver son innocence.
Celui-ci accepte: il entend le témoignage du malheureux chevalier puis celui de ses accusateurs. Comme il n'est pas capable de discerner la vérité du mensonge, il décide de recourir à l'épreuve du fer chauffé. On apporte devant lui un morceau d'acier rougi par la braise qu'il désigne à Guillaume: il lui demande de s'en saisir et de le tenir fermement dans son poing quelques instant. Le pauvre homme s'exécute courageusement. On imagine l'affreuse douleur, l'odeur abominable de chair brûlée. L'épreuve accomplie, on enveloppe la main du chevalier dans un linge propre. Quelques jour plus tard, on ôte le pansement et un médecin examine les brûlures: celles-ci sembles nettes, déjà en voie de guérison. Un prêtre interrogé pour la circonstance y voit un signe favorable de Dieu qui manifeste par là sa réponse: Guillaume n'est pas le meurtrier, il a été injustement calomnié. Honneur doit lui être rendu sur le champ.
Quelques années plus tard, un modeste paysan du nom de Clément est accusé par ses voisins de pratiquer la sorcellerie. Il est aussitôt questionné par l'évêque du diocèse. Le prélat entend de nombreux témoignages mais il n'est pas capable de découvrir si celui que l'on accuse est innocent. Il décide de recourir à l'épreuve de l'eau. Un matin, il ordonne que l'on conduise le malheureux Clément sur les bords d'un étang, les poings liés. Puis, devant le village venu assister à l'épreuve, il le fait jeter à l'eau. Bien qu'entravé par ses liens, l'homme flotte comme un vulgaire morceau de bois, il n'a pas coulé. L'évêque annonce alors que le paysan est bien coupable des péchés dont on l'accuse: l'eau est un élément pur qui rejette à la surface tout ceux qui ont la conscience lourde de fautes. Clément et tiré des flots, à demi noyé. L'instant d'après, déclaré hérétique, il est emmené au bûcher sous les cris des villageois.
D'autres épreuves, plus rares, sont aussi utilisées lors d'une affaire judiciaire. Celle "du pain et du fromage" est bien la plus étrange. Le magistrat fait avaler à celui que l'on accuse une grande quantité de pain accompagnée de fromage de brebis. Si celui-ci s'étouffe parce qu'il ne parvient plus à avaler quoi que ce soit, on estime alors qu'il est bien coupable des fautes dont on le charge: son horrible mensonge empêche la nourriture de passer par la gorge.
L'épreuve du Christ est tout aussi particulière. Quand deux personnes s'accusent mutuellement d'une même faute et si le juge ne parvient pas à déterminer laquelle dit la vérité, laquelle ment, il les fait agenouiller l'une en face de l'autre, les bras en croix. La première des deux qui esquisse le moindre geste de fatigue est déclarée coupable: Dieu ne peut soutenir les bras que d'une personne innocente.
Aujourd'hui, tout cela, évidemment, prête à sourire
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