ELECTION D'UNE "MATRONNE" A LISSEY
Les registres paroissiaux constituent une source irremplaçable pour les généalogistes. Ils fournissent aussi une foule de renseignements sur les us et coutumes de nos ancêtres. Tenus par les curés, souvent les seuls lettrés dans nos campagnes, ceux- ci ne se contentent pas toujours d’enregistrer, dans des formules toutes faites, les baptêmes, mariages et décès. La nomination des « régents d’école » et des « matrones » ou sages-femmes était aussi de leur ressort. Nous verrons, un peu plus loin, qu’ils y ajoutaient parfois leurs commentaires personnels. Mais pour l’instant intéressons nous à la matrone, personnage incontournable de nos villages, et à son rôle dans la société d’autrefois.
Avant 1736, une nommée Jeanne Bannevin exerce la fonction de sage-femme à Lissey, mais nous ne trouvons pas trace de son élection.
1736: Election d'une sage-femme
Ce jourd’huy 4 mars 1736 Jeanne Guillaume femme de Pierre Harque dit (?) la Roche de cette paroisse, âgée de quarante huit ans ou environ a été élue dans l’assemblée des femmes de cette paroisse à la pluralité des suffrages pour exercé l’office de sage-femme et a fait serment entre nos mains conformément à l’ordonnance de Monseigneur l’Evêque et Comte de Verdun et a marqué pour ne savoir écrire. Suivent les signatures
Cette femme devait être une « maitresse femme » car on la retrouve dans d’autres actes dans lesquels elle est mentionnée comme « lieutenante » c’est-à-dire adjointe au maire. Pourtant, elle ne sait pas écrire car elle a signé avec une croix. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne savait pas lire : sous l’Ancien Régime, le Régent d’école apprenait, en priorité, la lecture aux enfants ; pour apprendre à écrire il fallait payer un supplément….
Curieusement, elle repasse devant l’assemblée des femmes le 23 septembre 1736. Nous n'avons pas d’explication (acte ci- dessous). Elle décède (trouvée morte dans son lit) le 08/10/1759 à 73 ans.
En poursuivant nos recherches afin de trouver une autre sage-femme succédant à cette Jeanne Guillaume, l’acte ci-dessous nous a interpellé
1755 - Décès de Pierre Harque époux de Jeanne Guillaume
L’an mil sept cent cinquante cinq le troisième jour de février vers les quatre heures et demie ou cinq heures du soir est sorti du village de Sivry sur Meuse le nommé Pierre Harque dit la roche laisné habitant de ce lieu et époux de Jeanne Guillaume sa femme, lequel voulant revenir à son logis s’est égaré et perdu dans les neiges où il a péri et y est mort malheureusement. Son corps a été retrouvé le cinquième jour du dit mois vers la Vaux de Réville et après avoir été levé par la justice de Damvillers, il a été emporté au village de Lissey dans sa maison et le lendemain sixième jour du dit mois a été enterré et inhumé dans le cimetière de ce lieu avec les cérémonies ordinaires assistant à la conduite Pierre et Nicolas Harque ses fils et autres parents qui ont signé ledit défunt âgé de soixante cinq ou six ans.
Suivent les signatures : Pierre Harque, Nicolas Harque, J Pichelin curé de Lissey .
En effet, c’est un acte de décès et la victime n’est autre que le mari de notre sage-femme citée ci-avant. Ordinairement, les causes de la mort ne sont pas indiquées, le prêtre se contente de mentionner que le défunt a reçu le « sacrement nécessaire à sa maladie (l’extrême onction) », et a été enterré dans les « cérémonies ordinaires de l’Eglise ». Dans le cas contraire, il précise les causes du décès et, dans ce cas particulier, cela nous laisse imaginer le mode de vie de nos ancêtres, et aussi, en quelque sorte, percer leur intimité..
A l’époque, il n’y avait pas de routes ni de lumières, la nuit, pour se diriger. Il fallait aller à pied par des petits chemins, peut-être à travers champs ou à travers bois. Pour s’éclairer, un petit fanal, projetant sa lumière à quelques pas et dans ce cas précis, à la tombée de la nuit, pris dans une tempête de neige, il n’était pas facile de se repérer et l’on comprend aisément que ce voyageur imprudent se soit perdu et soit mort gelé ou d’une congestion …..
On remarquera également que les âges indiqués par le curé ne sont pas très précis et sont chaque fois suivis par « ou environ ». L’obligation de la tenue des Registres paroissiaux supprimera petit à petit cette mention.
1760 – Élection d’une « matronne ».
Ce jourd’huy troisième jour du mois de février mil sept cent soixante à l’Issue des Vespres, après avoir fait les Convocations, les Exortations prescrites par notre rituel, Convoquées et exortées les femmes de notre paroisse à l’effet de nommer choisir et élire une matronne jugée nécessaire par le décès de deffunte Jeanne Guillaume Vivante chargée de cette office, nous Prêtre et Curé de Lissey et Bréhéville avons reçu le serment de la nommée Claudine andré femme de henry Davignon Chirurgien demeurant à Lissey. Choisie et élue par l’assemblée des femmes de notre Paroisse à la pluralité des voix, Conformément à l’Ordonnance de Monseigneur Notre Evêque ; avec Injonction à la dénommée cy dessus , de ne travailler dans les cinq à six premières couches où elle sera appellée par le …….( ?) d’une autre sage-femme ancienne et prudante et de se conformer en tous points aux règles prescrites par le Rituel, en foy de quoi elle a signé ou marqué le jour et an cy dessus avec nous en présence de l’assemblée et du maire et Gens de Justices.
Signé : Jean Fallet (maire), Jean Didier (justice), N. de jarny (curé), Claudine andré (la matronne, marqué d’une croix)
Là aussi, on peut constater que la prétendante, bien qu’elle ne sache pas écrire, dispose d’un atout intéressant: son mari est chirurgien. N’imaginons pas que celui-ci a fait de hautes études. À cette époque, ce sont des chirurgiens de campagne et de « légère expérience ». Ils sont proches de leurs clients par le langage (ils connaissent la langue locale ou le patois), leur tenue et leurs mœurs et surtout proposent des tarifs accessibles. Leurs compétences se résument essentiellement à la lancette (petit instrument à lame plate utilisée pour la saignée et les petites incisions) et au clystère (pour les lavements) et à s’occuper des petits maux quotidiens. Ils sont parfois illettrés, et pour réussir à vivre de leur métier, souvent obligés de tailler la barbe ou de soigner la perruque de leurs clients. Néanmoins il fallait un apprentissage pour entrer dans leur corporation.
Par ailleurs, le curé limite les risques, car la prétendante est obligée de travailler de concert et pendant quelque temps avec une autre matrone ancienne, plus expérimentée et plus prudente…..
L’écriture de nos anêtres étant plus orthophonique qu’orthographique, un acte du 2 avril 1763 nous apprend, en fait, que Henry DUVIGNEAUD (DAVIGNON est devenu DUVIGNEAUD), chirurgien-homéopathe, est décédé à Lissey, époux de Claudette (Claudine est devenue Claudette) ANDRE, sage-femme, jurée. Celle-ci est décédée le 20 janvier 1789.
1792: Marguerite Patoche, épouse de Cuny Dezeau, est matrone à Lissey (pas d'acte de nomination)
La désignation de la matrone
Dans les villages autrefois, l’accoucheuse c’était la matrone. Elle avait la confiance des habitants. Elle possédait un savoir-faire acquis avec le temps, apaisante par sa propre expérience passée, bien intégrée à la communauté féminine, la sage-femme offre l’avantage de créer un climat psychologique favorable.
Elle était élue à la pluralité des voix par les femmes de la paroisse, réunies un dimanche dans l’église, après la messe ou les vêpres, par le curé, après convocation au prône ou la cloche.
Appelée à donner le baptême, lorsqu’il y avait urgence (cas des enfants mort-nés) elle doit être « vertueuse ». Les curés veillaient à ce que, dans leurs choix, les femmes regardent en priorité la gloire de Dieu.
Il était préférable que l’élue ait déjà enfanté. Après débat général, parfois fort animé, le curé appelait à tour de rôle chaque femme, qui à voix basse, exprimait son choix. En général, le maître d’école assistait le curé et dénombrait les suffrages.
Cela fait, le prêtre établissait la matrone de sa propre autorité, ordonnait à toutes les femmes d’avoir recours à elle et recevait le serment, dont le contenu pouvait varier d’une paroisse à l’autre, mais l’esprit restait le même.
En 1607, dans le village de Villécloye, le curé s’adressait à la nouvelle élue en ces termes :
« Vous jurez sur les Saints Évangiles qu’exercerez votre office le plus fidèlement et loyalement que pourrez sans faire tort, ni force à la mère, ni à l’enfant ; que ne prendrez charge de mettre main à femme si ne penser à venir à bout, et si voyez qu’il y a danger, ni mettre la main sinon par le conseil d’autre sage-femme en ce experte ; semblablement que ne baptiserez enfant s’il n’y a vie apparente, et pourtant que plusieurs fois se commettent beaucoup d’abus des enfants mort-nés qui se portent aucunes fois à Notre Dame ou autres saints, vous jurez que n’y commettrez nul abus et que ne ferez chose autour desdits enfants parquoi semblerait avoir vie et n’y seroit, ne baptiserez lesdits enfants, ni permettrez baptiser si donc on voit apparemment qu’il y ait vie. Quant aux enfants qui viennent souventes fois au monde l’un le bras devant, l’autre la jambe, l’autre vient tout courbé à la porte ou comme il plaît à Dieu ; tournerez ledit enfant en façon que la mère et l’enfant seront sauvés du péril ; semblablement que en recueillant lesdits enfants n’y userez de superstition quelconque, ni d’autres abus en aucune manière. Ne mettrez la main à femme contre laquelle eussiez courroux, haine ou rancune, si donc n’êtes appelée de ladite femme et en tel cas n’userez de vindication, à savoir les tenir en peine et travail longuement, mais y besognerez le plus expédiément qu’il vous sera possible ».
On remarque dans ce texte que la priorité est donnée aux devoirs religieux avant les impératifs obstétriques. L’évêque de Verdun, en 1750, rappelait que la matrone « sera reconnue pour être de bonne vie, mœurs, conduite et suffisamment instruite des vérités essentielles de la religion et de la manière d’administrer le sacrement de baptême »
En effet, d’après les théologiens catholiques, les enfants morts sans baptême, étaient exclus de la vision béatifique ; ils gardaient la tache du péché originel, bien qu’ils fussent morts sans mérites ou démérites personnels. Il fallait donc tout mettre en œuvre pour administrer très vite le baptême ou « ondoiement » qui marquait l’entrée du nouvel être dans la famille et la société chrétienne, sous peine d’excommunication des parents s’ils le laissaient plus de trois jours sans le présenter au sacrement. À Verdun, le délai était encore plus bref, « au plus tard le lendemain de leur naissance ». En examinant les registres de Lissey on voit que ces prescriptions étaient scrupuleusement observées. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il gèle à pierre fendre, il fallait présenter l’enfant au curé, au plus tard le lendemain de sa naissance et souvent le jour même.
Quand l’accouchement était difficile et mettait en péril la vie de l’enfant, le baptême devait être administré à celui-ci dès que « quelque membre vif appert dehors ». Il était préférable que ce fût la tête « car en la tête est toute la vertu et tout le sens de l’homme », mais il ne fallait pas hésiter à baptiser sur le premier membre qui se présentait, la main par exemple. Si l’accouchement se révélait trop difficile, on allait jusqu’à introduire de l’eau tiède avec la main ou une seringue afin de toucher l’enfant (ou au moins son enveloppe) en même temps qu’on prononçait les paroles sacramentelles.
Tous les registres paroissiaux mentionnent des baptêmes donnés par les matrones, avec, parfois quelques précisions : « un enfant aussitôt mort que baptisé sur la main dans le ventre de sa mère », « la sage-femme a baptisé par nécessité sur le pied, le reste du corps étant dans le ventre de sa mère ».
Le baptême, ainsi donné par la matrone ou même, en cas d’urgence, par le père ou la mère, devait être complété par des « suppléments de cérémonies », dispensés par le curé, si l’on doutait d’avoir respecté toutes les règles : présence de deux témoins, emploi d’eau naturelle pure, contact de l’eau avec la peau, formulation exacte des paroles sacramentelles, etc.
Si l’enfant mort sans baptême n’avait pas été régénéré ; son corps allait rejoindre, sans prières ni cérémonie, le « lieu ou coin profane » que l’on réservait près des cimetières des églises « pour y enterrer les enfants mort-nés ». Il était signe de malédiction pour la famille. Le seul recours, qui permettait d’échapper à l’irrémédiable, était d’emmener l’enfant mort dans un « sanctuaire à répit » où Dieu, grâce à l’intercession de la Vierge Marie exaucerait les prières des parents et lui redonnerait quelques instants un souffle de vie.
La Lorraine possédait des sanctuaires à répit, tous dédiés à la Vierge, la plupart du temps chapelles d’église ou pèlerinages célèbres : Notre-Dame-des-Vertus dans l’église de Ligny-en-Barrois, Benoîte-Vaux près de Verdun, collégiale Saint-Georges de Nancy, etc. Pas très loin de Lissey, Avioth était aussi un lieu de pèlerinage réputé, dédié à la Vierge, pour la "resuscitation" des enfants mort-nés. Comme nous l’avons déjà écrit, autrefois, la croyance populaire admettait que les enfants mort-nés et décédés sans baptême n’allaient pas au paradis, mais dans une sorte d’enfer, « les limbes », adapté aux enfants, c’est-à-dire qu’ils n’y encouraient pas les souffrances de l’enfer, mais étaient privés de la vision de Dieu. Le peuple animé d’une foi à toute épreuve ne pouvait se résoudre à une telle issue pour des innocents. Aussi se forgea-t-il l’idée que l’intervention miraculeuse de la Vierge ou de certains saints permettrait un bref retour à la vie. Celui-ci, mis à profit pour baptiser le petit trépassé, permettrait ainsi de lui éviter les affres de l’enfer. En Lorraine, on appelait « aviots » ces enfants mort-nés. Ils étaient apportés dans un panier et venaient souvent de très loin : Bastogne, Marville, Arrancy, etc.. « Deux suppléments au Bref recueil » de Jean Delhotel, curé d’Avioth, nous apprend que le 29 avril 1669, Jean et Jeane Hereau de Lissey y apportent leur garçon mort-né pour être baptisé ; le 7 mai 1673, Mathieu Lhopinois et Jenne Lapin de Licel (Lissey) exposent leur enfant devant la Vierge, un garçon, qui sera baptisé par la dite Alison Pieron (sage-femme d’Avioth) en présence de 2 témoins également de Lissey (les noms ne sont pas précisés). De même, le 2 juin 1665, Colin et Bastienne Cola(s) de Bréhéville présentent leur fille, baptisée par Anne Richard, d’Aviot ; le curé de l’époque note comme signe de vie : « de la rougeur à sa face, et pour avoir overt un œil à bonne partie, fort visiblement, (œil) qui s’at reséré après le baptème ». Et encore, le 2 mai 1672, Charle et Jenne Boret d’Escuré (Ecurey) amènent leur fille avec pour témoins Jean Thévignon et Françoise Busi également d’Escuré. Quelle que soit la saison, ils étaient exposés nus, aux pieds de la statue de la Vierge, à même la pierre. Tous les assistants, appelés au son de la cloche, se mettaient en prières, on chantait le « Salve Regina », puis les litanies en l’honneur de la Vierge. Certains faisaient célébrer des messes, se confessaient et communiaient afin de pouvoir plus efficacement incliner la Vierge Marie à leur obtenir de Dieu son Fils, grâce et miséricorde pour ces enfants à leur grande consolation. Alors on guettait des signes de vie : « le mouvement des veines des membres revient, la couleur, de noir devenait vermeille, l’effusion du sang ou une sueur chaude survient » note Jean Delhotel, le chroniqueur de l’époque. En présence de ces symptômes, le baptême était donné, « sous conditions ». Aussitôt après les signes de mort réapparaissaient…. Le même chroniqueur raconte que quelquefois la mort était déjà ancienne ou était survenue dans des conditions suspectes comme en témoignent les deux cas suivants : le premier concerne « une enfant morte, appartenant à une fille nommée Elisabeth, servante de Mr Handestenne de Meix-devant-Virton, en 1660. La dite enfant est venue au monde pleine de vie, mais doit avoir été suffoquée par sa mère et jetée dans les lieux d’aisance de la maison du dit Monsieur Handestenne où elle demeura trois jours. Le corps de cette innocente créature était tout noir et fut apporté devant N. D., par la sage-femme de Meix, accompagnées de plusieurs autres femmes et toutes se mirent en prière, demandant à la glorieuse Vierge Marie d’avoir pitié et compassion de ce malheureux événement, qu’il lui plaise de faire voir sa puissance à sa plus grande gloire, édification du monde et pour la salut de cette innocente créature ». Le second intéresse un enfant apporté en l’église d’Avioth, le 25 janvier 1663. Il avait déjà été inhumé pendant trois jours dans le village de Prouvy. Après avoir présenté des signes de vie, il fut baptisé par Catherine Richy, sage-femme d’Avioth. Il convient de noter que les autorités ecclésiastiques s’élevèrent contre ces pratiques interdites en 1452 par l’évêque de Langres. En 1557, une assemblée synodale tenue à Lyon, condamna ces manifestations comme « empreintes de superstitions ». Ces décisions n’empêchèrent pas les pèlerins d’affluer à Avioth et les miracles de s’accomplirent…. |
Les actes, ci-avant, sont extraits des registres paroissiaux de la commune de Lissey. Ceux-ci débutent en 1669 (avec le curé Le Recouvreux) et sont déposés aux Archives départementales de la Meuse. Ils sont consultables par internet. Pour les avoir un peu survolés, nous pouvons dire que leur état est loin d’être satisfaisant ; de plus, il est souvent difficile, pour qui n’est pas habitué, de déchiffrer les écritures anciennes