Sorciers et sorcières dans le Nord-Meusien
Savez-vous qu’aux XVIème et XVIIème siècles (nous sortons du Moyen-Âge pour entrer dans la Renaissance) on estime à 100 000, en Europe, surtout en Allemagne, le nombre
des procès en sorcellerie, dont 50 000 condamnations. En Lorraine, près de 3000 sorciers et sorcières, recensés (car beaucoup d’archives ont disparu) ont été traqués et, pour près des trois quart, mis à mort, brûlés sur un bûcher, comme Jeanne d’Arc, après d’atroces tortures.
Sur ces 3000 « coupables » plus des deux tiers sont des femmes le reste est composé par des hommes mais aussi de quelques enfants
C’est le département des Vosges qui en concentre la plus grande partie. Ce n’est pas difficile à comprendre, la montagne est l’espace propice à enflammer l’imaginaire populaire et à la magie. L’obscurité silencieuse et particulièrement angoissante des forêts de sapins noircit le merveilleux : la grange isolée, la hutte du bûcheron ou du charbonnier, la grotte de l’ermite, sont autant de repaires de sorciers et sorcières. D’autre part, la pression de l’Eglise par le chapitre de Saint-Dié et l’abbaye de Moyenmoutier y était très vive.
Puis viennent
Dans
120 cas environ y sont répertoriés. Les principaux foyers (dans les deux sens du terme) sont Verdun, Etain et surtout Saint-Mihiel.
Près de chez nous un cas est cité à Vittarville, mais je n’arrive plus à en retrouver le détail.
Proth Mariette de Remoiville est brûlée à Jametz en 1603.
Rouyer Jeanne, veuve de Philippe Pierre est renvoyée jusqu’à rappel du baillage de Jametz en 1645.
Cosson Janette de Juvigny-sur-Loison, femme de Cosson Jean est condamnée à être « dépilée » et brûlée à Stenay en 1596. On dénombre d’ailleurs, dans cette ville (Juvigny), siège d’une abbaye de bénédictines, à l’époque, 14 condamnations à mort, pour sorcellerie, de 1575 à 1670.
Chenot Zabeth, veuve de Pezza Biron, Watrin Ysabeau veuve de Pizon Robert sont brulées à Mouzay (château de Charmois) en 1595.
A Mouzay encore, on peut lire dans les comptes de la prévôté de Stenay (1474/1475)
« Biens vacants attirés et confisqués durant le temps de ce présent compte : Venons à cause de certains biens meubles appartenant à Eudelme, femme de Parmentier, de Mouzay, et Isabelle, femme Pierotte du dit Mouzay, lesquelles on été exécutées au dit Sathenay (Stenay) pour ce qu’elles furent trouvées « gyennes » (sorcières). Lesquels biens ont été vendus à qui plus audit. Sathenay, … »
A Dun on poursuivait également les sorcières. Ainsi, nous lisons, dans le bulletin de 1901 de
La Braconnière Izabel, femme de Jacques le Braconnier, Regnesson Alix, femme de Regnesson sont brûlées à Bazeilles-sur-Othain (château de Laval) en 1463.
Marchal Jean, ermite à Wiseppe, est brûlé en 1611.
Michon François, de Bouligny, est brûlé en 1613.
Crignard, d’Etain, veuve de Toussaint Crignard est brûlée en 1613
François Barbe, d’Etain, femme de François Gérard est brûlée en 1613
Guillemette est poursuivie à Etain en 1494/1495.
Blaye Jeanne, de Varennes-en-Argonne, est brûlée en 1616
En 1660, Dubois Pérignon et Migotte Barbe, vacher et vachère sont bannis de Damvillers, après appel. Mais on peut dire qu’ils ont de la chance car la période des bûchers se termine
Quelles explications à ce qui nous semble aujourd’hui impensable ?
Dans quel monde vivaient nos aïeux ?
Pour bien comprendre le phénomène il convient de s’immerger dans le contexte de l’époque.
A part quelques marchands, pèlerins ou aventuriers, on se déplace peu. Le village vit pratiquement en vase clos. L’horizon se limite à un rayon de quelques kilomètres. Il n’y a pas de routes carrossables, pas de panneaux de signalisation : les croix ou calvaires aux carrefours, les arbres caractéristiques, les curiosités topographiques sont les seuls repères pour s’orienter.
Cet espace rétréci favorise l’endogamie (les individus se mariant avec leurs proches) et par conséquent multiplie les risques consanguins : chaque village a son idiot(e) qui sert bien souvent de souffre douleur. Aucune protection sociale n’existe : pas de retraite, pas d’assedic, pas d’assurances, etc. Le moindre accident mortel ou invalidant plonge la famille dans la pire détresse
La médecine est perçue comme une pratique de diplômés intimidants et distants mais surtout coûteux. Le paysan ou le manouvrier préfère s’en remettre au rebouteux du coin ou à un saint guérisseur. Quant aux sages-femmes, nommées par le curé, elles sont choisies plus pour leur bonne conduite religieuse que pour leur compétence en obstétrique.
La malnutrition et l’ignorance de l’hygiène entraine une forte mortalité infantile et juvénile. Peu de monde sait lire et écrire. Seule la « gazette » dominicale du curé, en chaire, le téléphone arabe, le colporteur et le bistrot du village permettent d’avoir des nouvelles de l’extérieur mais souvent déformées.
Les grandes peurs de l’époque
La première est d’ordre alimentaire. Les productions agricoles dépendent totalement des aléas climatiques d’où une inquiétude permanente à longueur d’année. Ainsi en 1501/1502, les pluies excessives en Lorraine provoquent des calamités agricoles d’où il s’ensuit une famine puis la peste. En 1540, une grande sécheresse, en 1564, les noyers et les vignes sont gelés, etc. Ces catastrophes menacent la récolte présente mais compromettent aussi les prochaines semences et les redevances seigneuriales. On imagine difficilement aujourd’hui à quelles extrémités étaient réduits nos ancêtres. En 1636, pendant la guerre de Trente ans, on signale le cas de gens ayant déterrés des cadavres pour les dévorer et de parents ayant mangés leurs enfants.
La hantise du manque de nourriture fait que le vol d’un fruit, d’un légume est très sévèrement puni. Le maraudeur subira le fouet ou le bannissement et sera pendu s’il revient au village. Le vol de ruches ou de chevaux est passible de mort.
Mais ce que redoute surtout les villageois c’est la venue des soldats qui s’invitent chez l’habitant, buvant, mangeant, etc…à ses frais ou des mercenaires qui errent en bandes le long des chemins et qui se comportent comme de vrais brigands, n’hésitant pas à voler, violer, trucider, mettant le feu aux maisons, aux récoltes, etc..
L’Eglise est toute puissante
Elle est omniprésente. On ne peut manquer de voir les multiples édifices religieux : cathédrale, basilique, collégiale, abbaye, couvent, prieuré, église paroissiale, presbytère, sanctuaire, oratoire, etc.. et le long des routes : calvaires, croix, statuettes dans les niches, ermitages, etc.. Ajoutons l’hôpital, l’hospice, l’école, la maladrerie tenus par les gens d’église. Toute une armée qu’il faut entretenir par l’impôt.
Dans les villages c’est le curé qui détient le savoir, c’est souvent lui qui nomme le régent d’école, la sage-femme, le bedeau, le marguillier.
C’est l’Eglise qui organise la vie des paroissiens : les cloches rythment la journée, les fêtes religieuses ; elle ordonne l’écoulement des jours et fixe le temps de travail ou de repos. Elle met à disposition les saints du calendrier, leurs reliques qui protègent contre les dangers et les maux dont ils cherchent à se prémunir.
A l’intérieur des maisons et même dès le seuil, le dessus de la porte s’orne d’une niche pour la Vierge, l’Eglise est visible avec ses crucifix, rameaux de buis, statuettes, livre d’heures, chapelets, images pieuses, etc…
Elle sait tout grâce à la confession. Elle seule est habilitée à dispenser la pédagogie qui est évidemment essentiellement religieuse.
Enfin, n’oublions pas que c’est la période de la contestation religieuse avec le protestantisme : luthériens, calvinistes, qui provoque un durcissement du dogme de l’église ; les guerres de religion, dont la guerre de Trente Ans qui dévasta l’Allemagne et tout particulièrement notre région Lorraine ; la famine ; les épidémies de peste.
Charles III, duc de Lorraine combat la déviance religieuse et nomme un procureur rigoriste Nicolas REMY (on lui attribue 3000 condamnations à mort, dont 900 sorcières ainsi qu’un livre théorique : la démonolâtrie) qui s’acquitte de sa mission avec zèle. De 1581 à 1600 on constate un pic des condamnations. De même de 1611 à 1631 à lieu une seconde flambée (si l’on peut dire) avec le fils du précédent : Claude-Marcel REMY agissant sous la protection de Henri II.
Bref, nos ancêtres de l’époque, très croyants, (même les classes dirigeantes partageaient ces croyances) vivaient dans un environnement des plus instable. A qui la faute ? Sinon au diable et à ses suppôts : les sorcières et les sorciers….
Quelles personnes étaient visées ?
Les victimes en procès de sorcellerie sont, à près de 80 %, des femmes et appartiennent en majorité aux classes populaires. Les gens riches sont néanmoins en danger, leurs biens qui étaient confisqués représentaient une tentation pour les accusateurs. Les condamnations pouvaient parfois être étendues à leurs enfants surtout s’il s’agissait de filles. Les juifs, les homosexuels, marginaux et « errants », pauvres hères, gens du voyage, rouquins, idiots du village font parties des victimes. Des animaux, des insectes, ont même été condamnés et brulés pour sorcellerie.
Dans les villages se sont surtout les pâtres qui sont visés : près de la nature, ils en connaissent les secrets, de plus ils sont souvent rebouteux ; puis viennent les guérisseurs ou guérisseuses : le moindre échec éveillant la méfiance est perçu comme la conséquence d’un maléfice ; les maires : appartiennent à la classe dirigeante du village et suscitent jalousie et rancœur (Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui…). Il faut savoir aussi qu’à l’époque ils étaient principalement chargés par le seigneur de lever les impôts ; enfin quelques vignerons (ce qui témoigne de l’importance de la culture de la vigne) et quelques laboureurs.
Des familles entières furent décimées, leurs membres se dénonçant les uns les autres et l’histoire racontée par l’enfant vaut vérité pour les juges ce qui se vérifie encore aujourd’hui….
Mais revenons sur le cas des femmes
L’Eglise et ses démonologues voient dans la femme la coupable d’être la fille d’une Eve qui en succombant à la tentation est responsable du pêché originel. Ils voient également dans la nature de la femme une fragilité aussi bien physique que psychique et démontrent ainsi que la femme est forcément inférieure à l’homme.
D’autres spécialistes affirment que la femme est de complexion fragile plus sensible à la crédulité, à l’hystérie et aux hallucinations… donc plus susceptible de succomber au diable. Enfin la sorcière est censée avoir commerce avec lui. On développe tout une légende autour de ces pratiques pour mieux les rejeter : sabbats, messes noires, sacrifices, sorts jetés…
Les élites laïques voient en elle une créature ambivalente, l’image d’une vieille femme dépositaire des croyances populaires : elle prépare les remèdes à base de plantes magiques, veille les mourants, accouche les jeunes femmes, les avorte parfois. Ce rôle social ne plait pas à l’homme du temps soucieux de ses prérogatives (nous rencontrons encore ce genre de comportement aujourd’hui en d’autres lieux..)
D’autre part l’espérance de vie de l’homme étant moins longue que celle de la femme, beaucoup se retrouvent veuves avec des enfants à charge obligées pour survivre d’utiliser des expédients (vols, prostitution) et des métiers (guérisseuses) peu recommandables et pourquoi pas, après avoir fait appel en vain au Bon Dieu, obligées d’invoquer le Mauvais.
Les procès
Les procès sont des simulacres où l’avocat est absent. Celui qui défend la sorcière est appelé « avocat du diable » et se met en danger lui-même, car susceptible d’être ensorcelé par le diable. Par contre, les juges et les bourreaux échappent à cette emprise…
Convaincu de la culpabilité du prévenu le magistrat n’a qu’un seul but : obtenir son aveu… par la torture au besoin.
Pour un homme, a-t-il pactisé avec le diable, pour une femme a-t-elle eu des rapports avec lui, ont-ils participé au sabbat ?
Si l’accusé n’avoue pas, il est renvoyé en rappel, d’où ce paradoxe : l’innocent est condamné s’il succombe aux souffrances de la torture alors que le malfaiteur est absous s’il résiste..
L’accusé ne peut espérer le moindre témoignage en sa faveur : se déclarer l’ami d’un présumé suppôt du diable ou vouloir seulement ne pas l’accabler, c’est reconnaître appartenir à l’engeance satanique ou avouer une certaine complaisance et risquer par conséquent d’être impliqué.
Les procès en sorcellerie consistent essentiellement à faire avouer à l’inculpé qu’il a pactisé avec le diable et pris ses instructions auprès de lui à l’occasion des sabbats. Décrire les moyens pour obtenir des aveux nécessiterait plusieurs pages tant l’imagination humaine est sans limite en matière de cruauté. Dans un premier temps, le patient est rasé complètement afin de mettre en évidence des points du corps qui sont la marque du diable et qui sont plus ou moins insensibles et on y enfonce des aiguilles. On passe ensuite aux choses sérieuses pour faire avouer l’accusé : les grésillons (on écrasait à plat les mains ou les pieds avec une vis à écrou), l’échelle, suffisent dans la majorité des cas.
Aucun recours n’est possible et la sentence appliquée est sitôt prononcée avec une seule issue : la mort.
A titre d’exemple, dans un article paru dans Connaissance de la Meuse, l’abbé Léoutre (qui avoue d’ailleurs l’avoir relevé dans le Narrateur de la Meuse en dates du 7 et du 12 juin 1807) nous décrit dans le détail un procès pour sorcellerie qui eut lieu à Vaudoncourt-les-Tilleuls, près d’Etain, et qui dura du 11 février au 15 juin 1602.
La sorcière en question s’appelait de cet aimable nom : Jeannon la Belle… !
Elle était veuve de Mangin le Drapier, qui, du reste, avait été maire du village.
24 témoins vinrent déposer contre elle. Leurs dépositions étaient plus ou moins bizarres comme vous allez en juger.
Un témoin l’accuse d’avoir rendu son cheval malade et se plaint qu’elle n’ait pu le guérir ensuite, même en faisant des neuvaines ou en se nourrissant d’eau et de pain sans levain.
Un autre l’accuse d’avoir porté un sort à Jean Simon et d’avoir occasionné la chute de sa femme qui descendait du grenier, simplement en s’arrêtant devant sa maison.
D’autres plus nombreux l’accusent d’avoir propagé des maladies à des enfants, ou de les avoir fait mourir simplement en les caressant sur la tête.
Zabel Dallier (une fille à marier) a vue Jeannon la Belle, canant (faisant le cri ) des crapauds.
On l’accuse aussi de recevoir souvent la visite d’un veau noir…. !
Quelques autres témoins l’ont entendue, étant dans son grenier, crier « ah, ah » et ont cru en conséquence que son maître le diable était avec elle.
Il en est qui dépose qu’elle a dit « saute mirault » alors qu’elle était dans un mauvais passage de son grenier (saute mirault est un mot patois qui en rejoint un autre : beulou. Le beulou comme le mirault est celui qui ne voit pas clair. Jeannon s’accuse de ne pas voir clair dans ce mauvais passage du grenier. Mais les personnes qui l’entendent supposent qu’elle s’adresse au diable, que l’on regarde comme le mirault par excellence, puisqu’il est prince des ténèbres, celui qui vit continuellement dans la nuit..).
Maurice Drappier, déclare que cette femme a dit qu’il ne fallait pas prier pour le repos de l’âme de son défunt mari.
Quelques témoins déposent et attribuent à son mauvais caractère la perte de leurs vaches, de leurs moutons et de leurs agneaux… !
Voilà donc les « graves » crimes que l’on reproche à la pauvre Jeannon…
Vint alors l’interrogatoire.
Elle répond d’abord à ses juges qu’elle ne sait faire de mal ni aux gens ni aux bêtes. Elle aime rire : c’est tout. C’est pour rire qu’elle a fait « ah,ah » au gens dans son grenier. Pour elle « saute mirault » c’était un terme de gaité…. !
Dans une autre audience, elle avoue que si elle a dit « saute mirault » c’est parce que le diable était avec elle et qu’il lui aura fait dire…. !
Une autre fois elle dira qu’elle n’avait jamais vu le diable pas plus que le fameux veau noir… !
A un autre moment, alors qu’on lui reprochera d’avoir voulu envoyer son époux au diable, elle avouera que s’était naturellement pour rire, pour rire également qu’elle lui avait souhaité « que le diable lui rompe le cou ». Elle insiste que jamais, au grand jamais elle ne voulait de mal à son cher défunt.
Mais dans la minute de son jugement, le greffier note que Jeannon a tremblé lorsqu’on lui a posé une question sur les maléfices dont on l’accusait à propos des enfants.
Vint alors une sorte de sentence.
Le tribunal ordonne à Maître Henry, l’exécuteur des hautes-œuvres, de dévêtir Jeannon, pour voir si elle porte sur son corps la marque du diable.
Maître Henry remplit sa mission devant les juges.
Ayant rasé la tête de la malheureuse, il y aperçoit sur le sommet, le fameux signe, le signe fatal, qu’il a déjà trouvé, dit-il, sur plusieurs sorciers qu’il a dans le passé, lui-même exécutés. Le compte de la pauvre Jeannon est bon. Elle sait déjà ce qui l’attend.
Alors Maître Henry veut une preuve de plus. Pour prouver que c’est bien là le signe par lequel le diable s’empare de certains hommes et leur donne sa puissance, Maître Henry sonde de toutes parts le crâne de Jeannon avec une grosse et forte épingle. La pauvre femme, selon le procès-verbal, pousse à chaque coup d’épingle, des cris épouvantables. Voilà la preuve recherchée, si elle crie si fort, se sont les cris du diable… !
Le tribunal est convaincu. Il faudra bientôt préparer le bûcher… !
Mais un nouvel interrogatoire est encore prévu : il aura lieu au moment où la dite sorcière sera la plus affaiblie. Elle se livre alors à tout ce qu’on veut lui faire dire : il faut qu’elle soit condamnée, qu’elle soit brûlée, mais il faut aussi lui arracher des aveux personnels.
Alors elle raconte, elle n’en finit pas…
Elle raconte qu’elle a été accostée, il y a deux ans, par un homme habillé de noir qui lui offrit de l’argent mais ne lui donna que de petits fétus de paille coupée. Cet homme disparut en tourbillonnant. Un autre homme encore habillé de noir lui apparut deux autres fois : elle sut tout d’abord par lui que la vache qu’elle cherchait était retrouvée et ensuite qu’elle n’avait pas besoin de faire ses Pâques… !
Un autre jour raconte-t-elle encore, elle avait rêvé que 12 ans auparavant, elle avait rencontré un homme monté sur un cheval noir qui lui avait déclaré : « puisque te voilà sans mari, je te prendrai si tu veux, pour ma femme …» Elle avait consenti à l’épouser devant ses belles promesses. Il avait mit le pied à terre, l’avait entraînée dans un bois, reçut sa foi lui faisant renoncer à Dieu, la marqua à la tête de son signe, usa librement d’elle, puis disparut en ne lui laissant qu’un paquet contenant des feuilles mortes au lieu de pierres précieuses.
Elle raconte encore qu’elle était allée aux cérémonies du grand sabbat (les sorciers et les sorcières se rendaient au sabbat sur une hauteur déserte ou inculte. Le sabbat commençait dans la nuit du vendredi à minuit. On y invoquait le diable qui apparaissait sous la forme d’un crapaud pour se transformer en bouc hideux. On y parodiait la messe et la liturgie de l’Eglise dans des rites peu recommandables), après avoir été abusée par lui, et cela sur le Mont St-Quentin près de Metz. Elle rencontra là-bas une foule de gens qui dansaient, masqués, sauf la femme Colliate épouse de Didier Colin de Vaudoncourt.
Continuant à causer sans raison, comme ses juges d’ailleurs, Jeannon, parla encore d’autres apparitions de son maître, qui la rencontra une fois encore ; elle parla d’une poudre malfaisante qu’il lui avait remise pour faire du mal. Mais elle assura ne s’en être jamais servi sauf sur un chien et un agneau. A la suite de cela, puisqu’elle n’osait s’en servir, son maître lui donna une volée magistrale…
Les conclusions du jugement
Elles furent celles que tout le monde imaginait : voyant l’ensemble du procès le Procureur réclama la peine de mort pour Jeannon
Simple usage devenu ridicule : on fit la confrontation de Jeannon et des témoins. On prit aussi la précaution de consulter les magistrats de la ville de Metz, lesquels se rallièrent totalement à leurs collègues.
Mais le tribunal de Verdun consulté lui aussi donna une estimation différente. En effet, Monsieur Herbillon et Monsieur Thomas déclarèrent que Jeannon n’était sorcière qu’en apparence. Il n’y avait pas assez de preuves contre elle. Et celles qu’on avait assemblées n’étaient absolument pas convaincantes, Jeannon était davantage une femme à l’imagination perturbée. Rêveuse et fabulatrice, telle apparaissait l’accusée au tribunal de Verdun.
Malgré cet autre avis Jeannon la Belle fut condamnée le 15 juin 1602 et brûlée vive le soir même devant l’église du village.
Ses biens furent confisqués et le seigneur du lieu en devint propriétaire.
Le village fut paraît-il traumatisé par cette aventure : on en parlait encore deux siècles plus tard.
On voit, en tout cas, comment la superstition, la bêtise, la cupidité, la cruauté, qui sont sans limites sur cette terre, troublent les imaginations exaltées et emportent la raison dans une spirale de folie collective. Malheureusement ce comportement est de tous les temps…..
Mais, voyez-vous, ce qui m’intrigue le plus dans tout cela, c’est que les habitants de Lissey que l’on surnommait autrefois « les jeteurs de sorts » n’aient jamais été inquiétés pour leurs pratiques.
Peut-être que les fées de Lissey avec qui ils commerçaient leur assuraient, malgré tout, une certaine protection…. ! (Voir mon article sur les fées de Lissey).
G. AUBRY-COUPARD